Archive for novembre 2007

Histoire de cake

26 novembre 2007

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La semaine dernière, assis sur un banc dans un square du Marais, j’ai assisté à une saynète – somme toute assez classique –, dont les protagonistes étaient une mère et ses deux jeunes enfants (un rouquin turbulent, une blondinette). C’était l’heure du goûter. Il s’agissait pour la mère de partager en deux une sorte de cake au fruit. Munie d’un petit couteau de poche elle s’exécuta avec application, tâchant de se concentrer sur l’équité du partage, sous l’oeil affamé des deux mouflets qui trépignaient. Hélas, un morceau se trouva sans doute très légèrement plus gros que l’autre et il y eut dispute. Rapidement ça s’envenima. Les pelles, les poupées, puis les morceaux de cake finirent par voler au milieu des cris et des petits mots cruels. Fin de la saynète. On rentre à la maison. (Heureusement, ça ne se passe pas toujours comme ça.)
Il y a pourtant une solution pour éviter ce genre de problème. Une solution – pour certains connue empiriquement –, mais dont l’édification théorique a plus d’un demi siècle. Elle nous vient de deux illustres savants de la guerre froide, John Von Neumann, le père de la Théorie des Jeux notamment ; et John Nash, mathématicien nobellisé en 1994, qui apporta une contribution essentielle dans l’étude du « point d’équilibre » ou « point selle » d’un jeu à « n joueurs parfaitement rationnels » (ici, deux enfants gourmands).
Pour reprendre la saynète du square, ce qu’il aurait fallu pour éviter les histoires, c’est donner le couteau à l’un des deux enfants pour qu’il partage lui-même le cake ; et que ce soit l’autre enfant qui choisisse la part qu’il veut. Mettons que ce soit le garçon qui coupe. Comme il sait que sa soeur va vouloir la plus grosse part, il va s’arranger pour que les deux parts soient rigoureusement égales. Si tel n’est pas tout à fait le cas – il y a toujours une part « légèrement » plus avantageuse que l’autre – et que sa soeur prend la plus grosse, il ne pourra s’en prendre qu’à lui même. L’arbitrage est en quelque sorte intégré au « jeu à deux joueurs ». Et tout le monde est content. (La situation admettant un « point d’équilibre de Nash ».)

Un équilibre de Nash se définit comme un ensemble de stratégies (une par joueur) tel qu’aucun des protagonistes ne peut améliorer sa propre situation compte tenu des stratégies adoptées par les autres. Il s’agit d’un critère de stabilité puisqu’il implique l’absence généralisée de regret : à l’équilibre de Nash, aucun joueur n’a de regret étant donné ce qu’ont fait les autres joueurs.
Les manifestations socio-économiques de ce principe – dont l’étude mathématique sortirait largement du cadre de ce blog (et de mes compétences) – sont captivantes. Et parfois épineuses lorsque les enjeux sont bien supérieurs au destin de deux malheureux morceaux de cake. (Quand ont parle, par exemple, de « droit d’ingérence » en cas de conflit territorial entre deux ou plusieurs Etats…)

Un autre aspect des « jeux à n joueurs », plus complexe mais pas moins intéressant, incarnant cette fois le conflit entre l’intérêt individuel et l’intérêt collectif, trouve son illustration dans le dilemme dit « du prisonnier ». (Où par exemple il est démontré qu’un conflit atomique planétaire déclaré est – heureusement – assez peu probable : l’intérêt collectif étant une meilleure option que la trahison individuelle.)

Développement dans un prochain post. (en 2008, paniquez pas :))
Et reprenez du cake.

Toute la France écrit

22 novembre 2007

Plus de 20% des français s’adonnent à ce qui pour certains n’est qu’une manie (comme le tricot), pour d’autres l’espoir de passer enfin à la télé (et d’avoir son portrait dans Voici). C’est ce que nous annoncent les derniers sondages. Et les chiffres sont en nette progression. Bon.
Profitant des attentes dues aux grèves, et suite à certaines lectures que j’ai pu avoir ci et là sur le monde trépidant de l’édition (ici par exemple), j’ai commis deux trois croquis dans mon Moleskine en vache sauvage. Une fois n’est pas coutume, je vous les livre (!) en cascade ci-dessous. Ça pourra pas faire de mal. (Et puis vive la rentrée littéraire, hein, c’est vrai qu’ici on en a pas beaucoup parlé.)

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(Avec bien sûr un immense MERCI à la Poste, sans qui…)

 

 

 

Teaser ou Taser ?

17 novembre 2007

Emoi hier dans la plupart des médias, sur fond de grèves et de froid : les rédactions sont revenues sur un événement « terrifiant » survenu le 14 octobre à l’aéroport de Vancouver, jusque là resté dans l’ombre, mais très récemment mis en lumière sur le web par une vidéo « amateur » : La mort par électrocution d’un ouvrier polonais, M. Dziekanski, qui arrivait d’Europe pour « rejoindre sa mère et vivre avec elle au Canada ». Le malheureux, un brin agité et présentant des troubles du comportement, avait été interpellé par des agents de police tout aussi agités, et, dans la bousculade, fut victime d’un coup létal de TASER (ce pistolet lance-aiguille qui délivre des décharges de 50.000 volts, destiné en principe à stopper – et non pas à tuer – un agresseur, un manifestant, ou tout autre « élément pertubateur ».)
La vidéo que voici, tournée en direct par un témoin du drame – mais « confisquée par la police » jusqu’à ce que son auteur porte plainte –, débute quelques instants avant l’interpellation du fauteur de trouble par les forces de l’ordre, jusqu’aux dernier souffle de cet homme hurlant de douleur dans une brève agonie. Scène d’autant plus terrifiante qu’il n’était ni armé, ni foncièrement dangereux.
Voici cette vidéo – si vous ne l’avez déjà vue en boucle aux infos ou ailleurs –, je vous dirai plus bas ce qui m’interpelle dans cette information.

Il existe une « version longue » de cette vidéo. Plus difficile à dénicher sur le net, par exemple ICI (en espérant que le lien fonctionne toujours). Où l’on voit le Polonais un peu perdu, pas tranquille, s’énerver gentiment, progressivement, disparaître du cadre, revenir, etc… Rien de spécial à signaler, quoi. Comme si le filmeur attendait qu’il se passe quelque chose. Les medias sont demeurés silencieux sur ce qui a pu motiver le filmeur, le jeune Paul Pritchard, à filmer sans discontinuer un type qui a priori n’avait rien de particulièrement captivant. Rien de captivant, sauf si l’on sait ce qu’il va lui arriver.

Et c’est ainsi, qu’après avoir lu çà et là quelques infos complémentaires sur le drame – infos qui pour la plupart se mordent la queue à force de ressasser les même nouvelles AFP –, m’est venue une petite question : Vu la dangerosité évidente de cette arme de police (depuis sa « mise au point », elle aurait fait plusieurs dizaines de morts et des centaines de blessés grave outre-atlantique ; la France s’apprête à généraliser son usage sur tout le territoire et la Suisse également – ce con de Blocher l’aurait paraît-il essayée sur lui-même comme preuve d’innocuité), vu les vifs débats, donc, qu’elle commence à susciter, je me suis demandé si une telle information avait pu avoir été montée de toute pièce – ce serait donc un fake dantesque – pour sensibiliser l’opinion publique, dont on aura pris soin d’horrifier la conscience à l’aide de ces atroces images – et Dieu sait si elles le sont : on est sidérés, glacés, indignés forcément. Avouez que ce serait bien joué non ? Une bonne prépa en amont entre la Gendarmerie Royale du Canada et l’ambassade de Pologne, quelques acteurs, un « amateur » à la caméra, la mère éplorée, la vidéo « confisquée », un scénario crédible quoi… et l’affaire est dans le sac ! On fait mariner tout ça quelques temps pour que la mayo monte en mousse un peu partout à la vitesse du web (celle de la lumière donc)… et le fabricant du Taser peut commencer à se faire du souci pour ses ventes : Arme classe 4 jugée trop dangereuse pour un simple usage d’arrêt. Fin des débats.
Il fallait fabriquer une preuve. (Relayée par le bon boulot habituel des journalistes à sensation.)
Délire de ma part ? Scénario monstrueux ? Manipulation ? On en aurait vu d’autres.
Evidemment, on peut penser que le GRC se tirerait une balle dans le pied en laissant divulguer une info ainsi montée de toute pièce. Moins quand on se doute qu’ils sont étranglés par le lobby des armes, très puissant au USA tout comme au Canada, et qu’ils ne seraient pas peu fiers d’avoir été les instigateurs, sinon les héros, d’une solution alternative, moins dangereuse, à venir… (Reculer pour mieux sauter, en somme.)
Ah quel script ! Non, je dois sûrement me tromper. Les flics sont des sales brutes. Et le TASER devait être mal réglé. Paix à ce malheureux Polonais.

Quoi qu’il en soit, une commission d’enquête – canadienne – est sur l’affaire. Résultats officiels dans quelques mois.
– Euh, papa, ça veut dire quoi officiel ?

Café ou… café?

10 novembre 2007

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Rayon « café » d’une grande surface. (colossal le rayon :12m de long environ, 2m de haut.)

On s’approche un peu des sachets d’Arabica 250g, au pif :

CUBA : Doux & Parfumé
GUATEMALA : Raffiné & Équilibré
COSTA RICA : Parfumé & Racé
ETHIOPIE : Racé & Savoureux
BRESIL : Suave & Doux
VENEZUELA : Fruité & Suave
HAWAI : Généreux & Raffiné
PEROU : Savoureux & Fruité
SAINT DOMINGUE : Suave & Racé
MEXIQUE : Fruité & Équilibré
NOUVELLE GUINEE : Équilibré & Raffiné

Je prends , je repose. Je prends, je repose.

Ça c’est pour une marque donnée. (peu importe laquelle d’ailleurs)

On passe à une autre marque, vaguement moins chère :
Etrangement, là, le Cuba devient « suave et raffiné », alors que le Brésil, dont j’espérais qu’il conservât sa douceur, ne se révèle finalement que « parfumé et équilibré » ! Fichtre de nom d’une canne à sucre ! On se refait un tour de l’Amérique, de l’Afrique, pour voir… Les synapses s’affolent, la raison s’étiole, je vais battre en retraite…Totalement désorienté, je hèle un taxi vendeur, lui demande s’il a un café qui serait à la fois raffiné, équilibré (ah oui!), suave (quand même), doux ET généreux. C’est assez important je trouve la générosité… Le vendeur esquisse un vague sourire, me dit « tout est là, Monsieur ». Bon, merci chef.
Et c’est là, mesdames et messieurs, c’est là oui qu’intervient Luciolo Badalamenti. Luciolo le brave. Qui me tapote sur l’épaule, me tendant tout de go sa carte de visite (alors que merde je lui avais rien demandé). C’est qu’il a assisté à mon désarroi, Luciolo ! Un drôle de type cet asiate avec son accent italien… Qui me confie être un spécialiste du café. Ah oui? Eh oui. Dégustateur professionnel. « Vous aimez la terre, me dit-il, prenez du robusta ; vous aimez le ciel prenez de l’arabica, vous embêtez pas ». Wow ça fait short, non ? Et de m’expliquer (entre autres), qu’en général, pour le consommateur lambda, faute de pouvoir réunir des conditions optimales de dégustation (reproductibles surtout), il est tout à fait illusoire de penser distinguer avec pertinence un Cuba d’un Guatemala, un Brésil d’un Honduras, etc. Et attention, quand il parle de « conditions optimales », on est quasi dans un laboratoire de microbiologie : PH de l’eau, pureté relative, température, pression osmotique intra-particulaires, paramètres psycho-cognitifs du testeur, etc. Ça rigole pas du tout la dégustation. Et en effet, tous les cafés sont différents, comme des cépages (et leur assemblage). Mais, contrairement au vin – qu’il suffit de verser calmement à bonne température dans un verre neutre –, le café est extrêmement sensible aux différents facteurs qui vont permettre de passer du grain torréfié au breuvage final.
Alors pour le « doux, le parfumé, raffiné, fruité… » et autres joliesses marketing interchangeables, vous pouvez y aller tranquille et acheter le moins cher (ou le plus cher si le packaging vous tend ses petits bras de pieuvre). Il y a fort à parier que les (éventuelles) différences de goût que vous percevrez, viendront moins du café que de la dureté de l’eau dans votre machine entrartée, ou que de votre humeur, votre marque de cigarette, jusqu’à la décoration de votre appartement…

De toute façon moi je bois du déca.

Le syndrome de Moebius

6 novembre 2007

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Le « syndrome de Moebius » est une maladie rare. Elle se caractérise par une paralysie congénitale des muscles oculaires et faciaux, présentant ainsi chez la personne atteinte une absence totale d’expression – a fortiori de sourire. D’autres anomalies sont parfois associées, comme une déformation de la langue (et donc des difficultés d’élocution), de la mâchoire ou encore des malformations des membres.
Cet inquiétant tableau clinique semble avoir pourtant inspiré un nombre croissant de « créateurs » pour leur communication. Dans le domaine figé du luxe notamment, toute expression du modèle qui trahirait une petite trace de vie, un semblant d’émotion, voire un (très) éventuel bouillonnement intérieur, est désormais considéré comme « hors de propos » et donc banni. Car le propos, justement, c’est de vous tenir vous, « fashion addict » à bonne distance de la Parade. Du Club très fermé de Ceux qui en Sont – et qui vous méprisent, vous qui les adorez, qui les désirez). Sur le plan marketing ce transfert affectif fait merveille : Le consommateur étant masochiste (il aime payer pour se faire battre), le Luxe se doit d’être de plus en plus hermétique, presque effrayant, inhumain. C’est un excellent calcul. Et le système de la mode de suivre absolument ce principe morbide (d’où les « gueules d’enterrement » des mannequins lors des défilés ces dernières années, par exemple).
Il est souvent dit que c’est la Mort la grande Inspiratrice. Artistiquement c’est souvent le cas. Mais pour vendre des accessoires ? (80% du chiffre d’affaire du luxe, environ) Qu’y aura t-il après? Une chose est à peu près certaine dans ce monde grave : le sourire – cet affreux handicap – ne reviendra jamais. Les paris sont ouverts.


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