(Les noms des protagonistes, à part le mien, ont été modifiés. Mais c’est vraiment parce que je suis gentil. Jusqu’à quand le serai-je, gentil ?…)
– Editions Phion bonjour.
– Bonjour madame, Nicolaï Lo Russo à l’appareil…
– Oui…
– J’aimerais parler à… euh… quelqu’un du Comité de lecture…
– C’est à dire ? C’est à quel sujet ?
– A propos d’un courrier que j’ai reçu ce matin, au sujet d’un manuscrit que j’avais envoyé à Brumelle Heyer… or je ne parviens pas à déchiffrer la signature au bas cette lettre, sous « pour le Comité de lecture »…
– C’est une lettre de refus?
– Ben oui. Mais très étrange. Qui ne me semble pas destinée.
– Un instant.
(…)
– Alloooo…
– Oui bonjour, je suis Nicolaï Lo Russo… euh… vous êtes Brumelle Heyer?
– Non, une de ses assistantes. Madame Heyer n’est pas disponible.
– Ah d’accord… Bon, écoutez je… vous pourrez peut-être me répondre ?
– Allez-y.
– Je viens de recevoir un courrier de la part de Phion ce matin et j’ai l’impression qu’il doit y avoir une erreur. Concernant un manuscrit que j’ai envoyé il y a un peu plus d’un mois…
– Ah bon. Et c’est quoi comme manuscrit ?
– HYROK. C’est le titre.
– Attendez je vais voir. Nicolas comment vous dites?
– Nicolaï Lo Russo
– Ok, deux petites secondes.
(…)
– Voilà… oui… j’ai cette lettre sous les yeux… C’est quoi le problème ?
– Ben vous parlez de deux personnages, Pierre et Lucie, qui n’existent pas du tout dans mon roman…
– Ah bon ?
– Oui, et ensuite vous descendez tout en flamme, on dirait qu’il n’y a rien qui va… ni les dialogues, ni la construction, ni l’intrigue, que vous trouvez plate, enfin rien quoi… Je crois que vous avez dû vous tromper quelque part, croiser des rapports de lecture j’en sais rien… C’est pas possible que ce soit mon manuscrit… pourtant le cadre est bien le même, sur l’Art, la mode, la photographie, tout ça…
– Euh… écoutez monsieur… Je… je vais regarder ça de près, hein… je vous rappelle dans un moment… c’est bizarre en effet.
– Très bizarre oui… J’attends donc votre appel.
(Deux heures plus tard, sonnerie, je décroche…)
– Monsieur Le Russo ?
– Oui.
– Adeline Wermus, de chez Phion… on s’est eus tout à l’heure au téléphone…
– Ah oui. Alors ?
– Nous somme désolés. Il y a eu une petite bourde dans ce courrier…
– Ah bon ! Vous me rassurez. Ça me paraissait incroyable…
– Oui oui… Je… enfin nous ne savons pas trop comment ça a pu se produire… Un copier-coller qui a glissé, j’en sais rien, je… Enfin ça ne concerne pas du tout votre manuscrit. Je… ne sais pas quoi vous dire, sinon que nous sommes vraiment désolés.
– Je ne vous cache pas qu’il y a de quoi.
– Je sais. D’autant plus que votre roman nous intéresse, en fait…
– Pardon ?
– Votre roman nous intéresse, oui. J’ai sous les yeux des avis de lecture positifs, c’est… Non, je suis vraiment désolée pour ce malentendu…
– Ah ben dites donc…. Ça vous intéresse alors maintenant… On passe de la douche froide au bain de vapeur, ha ha ha !… Et alors qu’est ce qu’on fait dans ces cas-là ?
– Je vous envoie dès demain matin un nouveau courrier. Sans faute cette fois. Promis.
– Ah bon ? On ne prend pas rendez-vous en général ?
– Non non, je vais d’abord vous renvoyer le bon courrier. C’est moi qui ai fait la faute en plus. Mais j’espère que vous nous faites toujours confiance…
– Ben .. euh.. Oui… Oui, oui. Enfin j’attends de voir, quoi… J’en ai tellement vu vous savez… Donc là vous me renvoyez un courrier et on se recontacte ? C’est ça ?
– Oui c’est ça.
(Trois jours plus tard, second courrier de Phion dans ma boîte à lettres. Navré, bienveillant, mais peu clair, ambigu. Je rappelle.)
(…)
– Bonjour, vous êtes Adeline ?
– Non elle vient de partir en vacances. Qui la demande ?
– Nicolaï Lo Russo, je…
– Ah oui. C’est pour votre manuscrit ?
– Oui. Vous êtes au courant ? Elle m’a réécrit un courrier…
– Oui oui, je sais, je suis Bénédicte, sa collègue.
– Ah d’accord. Ben écoutez… je suis ravi que mon roman vous ait plu, comme vous l’écrivez dans cette nouvelle lettre… et que vous ayiez rapidement corrigé le tir… Mais je suis un peu embêté parce que vous me dites que mon roman, malgré les qualités que vous lui trouvez, sa modernité formelle, « ne peut être publié en l’état ».
– Ben oui, et ?
– Et il faudrait qu’on se voie non ? Pour qu’on puisse faire le travail éditorial requis ! puisque vous me dites qu’il faut, selon vous, « alléger le début, élaguer », sans plus de précision…
– Oui mais c’est à vous de le faire.
– Comment ça c’est à moi ? A quoi ça sert un éditeur alors si c’est pour renvoyer les auteurs à leur établi sans les épauler ? Je suis au bout de mon objectivité moi, c’est déjà la huitième version ! Comment je continue sans éditeur ? J’élague quoi dans le début ? Où ? Une page sur deux ? Sur trois ? C’est très relatif ça… Y a même un de vos confrères qui le trouve très bien comme ça le début ! Faudrait qu’on en discute, non ?! Qu’on puisse se rencontrer !…
– Je suis désolée nous n’avons pas parlé d’engagement de publication. On ne peut donc pas se rencontrer pour le moment.
– Ah voilà. Je l’attendais un peu celle-là… Je dois être abonné au non-engagement, moi… C’est dingue, pourtant votre collègue m’a dit l’autre jour, après s’être platement excusée : « votre roman nous intéresse, en fait »… C’est pas rien !… NOUS INTÉRESSE !
– Je ne peux rien vous dire de plus. On ne vous a pas écrit que ça nous intéressait.
– Non, mais vous l’avez dit ! Et ce que avez écrit, c’est que ça vous a PLU, vous voulez quoi alors ?!
– …
– Et vous faites quoi au fait, vous ? C’est quoi votre fonction exacte chez Phion ? Je pourrais pas parler à Brumelle Heyer ? C’est à elle que j’ai adressé mon roman après tout !…
– Ça ne sert à rien, monsieur Rosso, je suis désolée… Votre roman a été lu, il a sûrement des vraies qualités, mais sans doute pas assez à notre avis pour que nous nous engagions. Voilà. Vous avez reçu un courrier clair je crois, je n’ai rien à vous dire de plus.
– Un courrier clair ? Ah vous trouvez ? Y a rien de plus obscur vous voulez dire oui ! A part vos aimables remarques… Vous êtes éditrice, vous ?
– Non, assistante.
– Vous savez ce que produit la phrase « votre roman nous intéresse, en fait » dans la tête d’un auteur qui cherche un éditeur ? Quand il entend ça d’une demoiselle qui vient de s’excuser d’une méprise ? Hein ? Vous imaginez le poids des mots ? Sur ses nerfs ? son moral ? J’ai pas l’impression… Et moi qui pensais avoir trouvé preneur… Quel con… Mais quel con !
– Euh… Ben… Rien ne vous empêche de nous renvoyer votre manuscrit après l’avoir retravaillé vous savez…
– Ben voyons. Et le lecteur qui va le relire, un autre probablement, va trouver que la première partie est un peu light, cette fois-ci ? … Que ça manque d’épaisseur ? Ha ha ha ! Pfff… C’est vraiment faire danser les gens sur la tête… Vous ne vous rendez compte de rien mademoiselle… C’est terrifiant…
– Écoutez, je vais pas pouvoir rester plus longtemps j’ai beaucoup à faire… Je suis dés…
– En plus je n’ai même pas d’interlocuteur précis chez vous… Je le renvoie à qui mon roman en admettant que je le renvoie ?
– Au service des manuscrits.
– Ah d’accord, je vois. Ok. Tres bien. En tout cas bravo pour votre compétence et votre professionnalisme, hein. C’est prodigieux. Et bonnes vacances à vous.
– A vous aussi Monsieur Laruzzo.
Étiquettes : Consternant, Editeurs, Incompétence, Littérature & Edition, Manuscrit
20 juillet 2008 à 17:13 |
Je viens de lire ce post à voix haute à l’ami qui joue sur son pc juste à côté de moi, c’est peu dire qu’on s’est fendus la gueule.
Vivement notre café de demain pour que tu me racontes de qui il s’agit huhu
21 juillet 2008 à 23:32 |
En effet, tant de clarté est aveuglante. Bon courage : c’est une jungle (j’y ai bossé) mais un jour ça peut payer.
22 juillet 2008 à 11:26 |
Si cette histoire est véridique, c’est à se fendre en deux en effet (et d’un autre côté préoccupant sur le « monde » de l’édition et ses coulisses!) Je verrais bien ça dans un roman comme dialogue, ça marche bien! Cela dit ça craint un max et ça donne pas envie d’envoyer son boulot à n’importe qui, si c’est pour être traité comme ça par des écervelées qui se la pètent. Argh! L’éditeur en question (si il existe…), sera dans ses petits souliers s’il tombe sur votre post et s’il se reconnait. Autrement j’ai essayé de telecharger le prologue de votre roman sur le lien que vous indiquez, par curiosité, mais ça fonctionne pas, j’ai pas eu le « pdf », je ne sais pas d’où vient le bug vous devriez verifier?…
22 juillet 2008 à 16:57 |
Pour être clair :
a) « Histoire » vraie (A.O.C jungle éditoriale)
b) Dialogue retranscrit quasi tel quel.
c) Editeur qui existe. (Parisien, important.)
d) Les deux filles sur la photo ne font qu’illustrer le propos. Ni l’une ni l’autre ne travaillent pour cet éditeur.
d) J’ai vérifié le pdf, tout semble en ordre pour downloader le prologue (vos téléchargements aboutissent peut-etre dans un dossier, non?)
e) Merci.
23 juillet 2008 à 12:09 |
En effet je vous trouve très gentil après tout ça. Quelle claque!… Comment je me serais enervée moi ! en tout cas vous avez bien fait de mettre ce dialogue en ligne, il est délicieux et instructif, je viens de le lire pour l’apéro c’est parfait! :) Je crois savoir de quel éditeur il s’agit mais ça ne se dit pas n’est ce pas? lol
23 juillet 2008 à 14:59 |
hé ben mon vieux ! Ils sont quand même gonflés! Le pire c’est qu’à côté de ça ils vont nous faire une rentrée littéraire avec des merdes supposés être lu rapidos et sans prise de tête dans le métro.
Dangereux de laisser une tel pouvoir -celui oh combien nécessaire de la diffusion des idées, connaissances ou savoirs- à des incompétents …
Ton histoire est tout simplement risible. Au fait, c’est Plon la maison d’édition ??! Très bien renommée!
Bonne route à toi et ne t’inquiètes pas, toutes dettes se payent un jour !
23 juillet 2008 à 17:07 |
@Margaux. Plon? Quel Plon? C’est un éditeur ça ? je ne connais pas de Plon.
@Bonnie. Ah pour les claques ce n’est ni la première, ni probablement la dernière. Mais un cuir se forme à force. Genre rhinoféroce.
24 juillet 2008 à 08:56 |
Oui ça marche maintenant j’ai pu avoir le pdf, ça devait venir de chez moi. Remarquable votre prologue, ça doit bien dégommer, après. Je suis impatient de lire la suite ! Et merde à cet éditeur, quel qu’il soit! lol
28 juillet 2008 à 17:19 |
Hé bien! Quelle expérience! J’imagine que tu as du vivre au rythme des desiderata des éditions Fion durant quelques jours, pas cool… Je te conseille un bon stabilisateur d’humeur genre Litium, pour te remettre…
Ou un peu de vacances? Oui!
Bisous
4 août 2008 à 09:04 |
Oui ce doit être très décourageant ce genre de mésaventure, tout à fait déplorable!! et dire que l’éditrice Mme Heyer n’est peut être même pas au courant. C’est normal les assistantes sont là pour protéger les chefs, faire le sale boulot n’importe comment, comme dans toutes les boites. Elle, elle s’occupe de ses auteurs, de ses amis, ses chouchous, elle est au dessus de tout ça sûrement… Bon courage pour la suite! (et bravo pour votre blog il est tj aussi sympa à lire(même si je comente rarement!) ; pourquoi ne mettez vous pas votre roman en téléchargement en attendant? il ya beaucoup d’auteurs qui font comme ça maintenant, vu les difficultés rencontrées et ce milieu bien pourri…
6 août 2008 à 13:13 |
… j’ai vu que Leo Scheer a adopté votre roman! Bravo…
6 août 2008 à 16:36 |
@Daniel. Il essaie, pour l’heure, de l’apprivoiser ; déjà de le montrer, petit à petit. En commençant par le prologue… Quant à l’adopter comme vous dites, on en est pas encore là.
6 août 2008 à 18:58 |
Pas vraiment rassurante votre expérience… Je m’inquiète. Vais-je devoir affronter semblable indifférence de la part des éditeurs ? En tous cas, chapeau bas : tant pour votre opiniâtreté (je n’aurais sans doute même pas cherché à discuter) que pour votre talent de conteur. Je n’ai souhaité interrompre ce récit à aucun moment. C’est rare. Je parie que vous trouverez rapidement un éditeur intelligent; la bêtise à ses limites tout de même.
Courage.
7 août 2008 à 11:33 |
@L’Islandais; Hélas, les éditeurs sont plus que sollicités, donc leur degré d’attention s’en trouve terriblement affaibli. Sans recommandation, contacts – qui permettent non pas d’être publié, mais au moins qu’on fasse attention à votre travail (et encore… ) – c’est un peu la « Française des jeux » on va dire… De nos jours, l’opiniâtreté est la moindre des choses pour tenter de se voir publié. C’est très dur.
@Choupette. Merci pour vos encouragements. Le « roman en téléchargement » c’est pas encore pour tout de suite. mais on y pense.
8 août 2008 à 12:11 |
Merci d’avoir pris du temps pour lire les 1ères pages d’Ecrivain Academy sur mon blog. Vous aurez été le premier. Votre remarque concernant le réalisme du dialogue est sans doute juste ; je le pressentais aussi sans avoir eu besoin de m’enregistrer :)
C’est un parti pris narratif : aucun des ingrédients de ce récit n’est réaliste ; ni les décors, ni les descriptifs physiques des personnages qui sont totalement absents, ni la nature des propos tenus par chacun d’entre eux, volontairement exagérés et plein d’emphase. Les 4 personnages sont tous des caricatures. Cet « irréalisme » est une forme de pudeur, autant qu’une tentative « poétique ». Suis-je clair ? Je m’interroge.
C’est vrai, Hercule pourrait être en train de lire un texte, son texte, le texte de son existence, qui n’a pour seul dessein que de libérer les nombreuses frustrations emmagasinées avec le temps. C’est un peu parce qu’il souhaite ne rien oublier; c’est une sorte de liste de choses à dire comme il y a des trucs à faire ou à ne pas oublier quant on part en voyage.
Bon je m’arrête là parce que je risque d’encombrer votre page de commentaires.
Sympa de vous rencontrer.
17 août 2008 à 11:06 |
Envoyer un manuscrit a des gens pareils?? Jamais! A quoi ça servirait? Moi c’est plutot l’appel au boycott!
15 septembre 2008 à 14:14 |
petite question…
pourquoi vous ne révélez pas le nom de l’éditeur?
15 septembre 2008 à 20:15 |
@Larvinch : J’essaie d’avoir un peu plus de classe que lui en ne le nommant pas directement. Mais vous n’êtes pas très observateur…
3 novembre 2008 à 10:01 |
Je me joins à vous dans ce dur combat. Si ce que vous dites est vrai (ce qui en a tout l’air…)
15 novembre 2008 à 21:09 |
Parfait !
Ne révélez pas le nom de l’éditeur, cela ne sert à rien, et je suis sûr qu’on pourrait copier-coller ce dialogue dans pas mal de grandes maisons.
En revanche, quelle classe chez vous ! Comment faites-vous pour rester aussi élégant face aux pimbêches sans compétence ni morale ?
(ne me dites pas que vous avez relu et amendé votre part du dialogue, je n’y croirais pas, ce n’est pas votre genre)
11 décembre 2008 à 13:42 |
Je suis pliée de rire! Enfin bon, tu crois pas qu’elles ont changé la critique du texte pour que tu sois assez comptant et que tu ne les recontactes pas? Bon courage en tout cas …
26 juin 2009 à 02:19 |
Magnifique, je ne peux pas dire mieux.
7 mars 2013 à 09:56 |
Une question juste. Pourquoi voulez-vous absolument vous faire éditer?