Bien complexe, ce monde de l’édition. C’est là son moindre défaut. Voyons par exemple : La question de « l’engagement de publication », soulevée régulièrement par quelque éconduit, et qui semble être, en ces sombres temps, LA question cruciale de la relation auteur-éditeur. Si je m’en réfère à ma très courte expérience en ce domaine ô combien épineux, elle m’a tout de même valu, cette question, quelques bonnes sueurs froides et autres nuits sans sommeil.
Mécanisme possible, assez courant : Une fois « accroché » par votre texte (heureusement, ça arrive), un éditeur pourra vous suggérer des coupes, des « petits changements », oh pas grand chose, des étirements par-ici, des émondages par-là, on vous poussera à « resserrer un poil », ou au contraire à insister « un peu plus là-dessus », bref : on vous demandera de RETRAVAILLER. Encore et encore. Dans la rigueur sèche des matins nets. Pendant des semaines. Vous vous-y collerez de bonne grâce au début, naïf que vous êtes : plein d’espoir vous aviez dit OK ; pour le panache littéraire, sans filet, sans engagement de l’éditeur. Sans engagement ? Eh non ! ouh là ça non jamais ! surtout pas ! Mon pauvre ami ! Quelle idée. Signature ? qu’est-ce ce mot-là ? Quelle signature mon bon monsieur ? Où avez-vous entendu parler de ça ? (…) Bref : tout repartira après « corrections » (pour autant que l’auteur goûte ce manège infâme), en « comité de lecture » une fois le texte retravaillé… (avec possiblement — ça m’est arrivé une fois —, des « lecteurs » nouveaux ! des autres ! différents ! qui nous font regretter la version antérieure !) Dame que c’est con hein ! Rien n’est gagné ! du tout du tout ! Kafka n’est pas loin, qui danse sur la tête lui aussi, les gencives en sang. Parfois ça frise l’inadmissible, la lâcheté rance. (Et l’abus de pouvoir, tant qu’on y est.) Quand on vous renvoie pas au fameux et obscur « service des manuscrits » !, alors que vous aviez, visiblement, un peu « grimpé dans les étages » ! 1er, second, amorce du troisième, et hop ! paf ! rez-de chaussée à nouveau ! Ah les fumiers ! (Autant te dire, cher auteur aux abois : accroche-toi bien mon cochon ! Accroche-toi rudement à la rampe !)
Les cas d’espèce observés nous font comprendre qu’en définitive trois situations distinctes peuvent se présenter (le principe est analogue — j’ai ouï dire que c’était même pire — dans le domaine du disque) :
a) L’éditeur/producteur signe l’auteur d’entrée. Direct ! (avec ou sans à-valoir, mais plutôt avec). Le gusse un peu « bankable » quand même. Un peu connu. Ou qu’il serait bon d’avoir dans son écurie. Alors qu’il n’a pissé qu’un vague « premier jet » jaunâtre, situé a des années lumière de l’objet final (voire n’a rien écrit ni composé encore, rien, pas une ligne). Stratégie dont usent nombre d’éditeurs dans le simple but de se mettre l’auteur sous le coude. Bien au chaud. Au cas que, coco, hé ! Donc on signe, là-en bas, on trinque, c’est la fête, ah quelle joie, on bossera plus tard. Trankilos, détendus. (Avec parfois — et c’est la que ça devient comique — des signatures effectives mais qui aboutissent à la sortie d’aucun livre : Aucun livre ! C’était juste pour bloquer ton manuscrit Henri !) Il y a en ce moment-même dans Paris plusieurs manuscrits bloqués, verrouillés, cryongénisés, par la sacro-sainte signature ! Sortira ? Sortira pas ? On n’en sait foutre rien Lucien. Just wait !
b) Fort de « conseils éditoriaux » parfois totalement contradictoires, l’auteur est prié, globalement, de retravailler son manuscrit — sans aucun engagement (comme on l’a vu plus haut) : Il reste ainsi seul dans le noir. Ça ne donne rien. Il finit par abandonner à force d’allers-retours d’éditeur en éditeur, aussi aléatoires qu’improductifs.
c) La situation dite « normale » — à dominante féérique tout de même, car dans le cas d’un manuscrit « envoyé par la Poste » (ou assimilé) ça devient de plus en plus rare : C’est celle où ENFIN !, dans un climat de confiance fertile, auteur et éditeur, qui se sont accordé contractuellement sur la base d’un travail « déjà bien avancé » et jugé suffisamment pertinent pour la « collection », oeuvrent à l’aboutissement de l’objet, dans la bonne humeur, la complicité (et parfois quand même — faut pas rêver —, des grincement de dents et des petits cris étouffés).
Il y aurait bien encore une quatrième catégorie, la « d) », accord-publication spontané, magique, qu’on pourrait intituler l’Accident de Mirza, (dans son acception latine accidere : « évènement fortuit ») : Celle qui échappe à toute règle, toute logique, toute chapelle ; qui survient comme ça, là, de rien, ou de tout, oui ou non, oui et non, nourrie du seul principe d’incertitude cher à Schrödinger. Qui surgit dans un non-temps inattendu, miraculeux et inespéré, presque impossible : le Temps du Chat.