Listériose et sandwich épais

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listeriose

Nous sommes tous plus ou moins perclus de pathologies diverses. Sans être hypocondriaque, il y aurait presque de quoi s’alarmer. Bacilloses à vertiges, coco-staphyloses digestives, prurits vulvaires mal soignés, protéites du grand cornet, mordaches polynéphrétiques franches, lucoses piriforme du stomate pontical, ptérodactyloses spongiomorphes, maladie de la betterave, scrofulites tuberculeuses, sans compter tous les petits chagrins chroniques que nous traînons ; pathologies de l’addiction, fixations corticoïdes, noyades tegmentales ventrales, contusions synaptiques et autres dégénérescences pyramidales aztèques.  Enfin bref, nous sommes parfois bien embêté. Parfois même sans le savoir.

Sans vouloir m’étendre davantage sur ce qui fait la joie des cliniques, j’aimerais revenir ici sur un trouble obsessionnel assez courant au mois de mars – et globalement entre deux saisons : la manie des listes ; avec ensuite, en exemple-cerise, la complication dite  « syndrome de Hilvoorde-Pfaff » – ahurissante.
Je ne parle évidemment pas de l’anodine et très peu conséquente « liste de courses » (destinée à « rien oublier » et surtout à réfréner les achats compulsifs et les cabas qui grattent), mais bien plutôt de la liste pour la liste. La copieuse et exhaustive liste. Parfois si brève. Si sèche et définitive. Qui rassure, gonfle d’orgueil ou d’assurance. Voyons. Non, il ne manque rien, tout est là. Elles sont toutes bien là ces dames que j’ai sodomisées depuis que je vais sur MEAT-ME. Cent-trente-deux. Bravo Bobby. Ça fait quoi ça en poids. Faudrait demander à Lhermitte, il doit savoir ces trucs-là. Les listes, toujours les listes. De livres « à prendre sur une île ». Une île nue où il n’y aurait rien d’autre à faire que lire, lire, lire, et soigner son érythème solaire. Les listes-podium. Les cent livres qu’il faut avoir lus. Les cinquante livres qu’il faut avoir lus deux fois. Oui chef, c’est noté. Les douze meilleurs films du monde. Les dix artistes de demain. Non, les vingt. Mais pas un de plus. Les listes-conseils. Les dix raisons de le quitter. Les dix raisons de choisir une Testa Rossa 48 soupapes. Ou plutôt un vélo. Et puis. Les Neuf Merveilles du Monde. La dixième c’est mon Fils. D’ailleurs il faudrait songer à visiter ces Neuf avec la Dixième. Les dix hommes qui font trembler la Finance. Ceux qui font trembler la France. Les dix femmes les plus belles du Cinema. Non pas toi Monica. Plus de ton âge. Ouste. Fissa. De toute façon t’inquiète y en a plus dix, y en a sept désormais. Le Top Seven. La liste des sept samourailles. Et puis les listes de choses à faire, à pas louper, avant de mourir, avant de partir, après dîner, après la pluie, avant l’hiver, les listes de crèmes à essayer, les listes de concerts où t’as pleuré, les listes rouges, les listes de noms à inviter, les listes noires à éviter, tous les pays à visiter, des listes, des noms, des mots alignés, les uns sous les autres, petits scolopendres à la queue leu-leu, bien être sûr qu’il ne manque rien, qu’on a bien tout dit, tout réfléchi, bien tout fixé, que tout est là bien écrit. Car il faut écrire : une liste ça s’écrit. Ça s’ordonne comme il faut. En premier, en second, en troisième. En. Il y a la tête de liste. La queue de liste. Toute tremblante, la queue, de passer à la trappe. On avait dit dix. Pas un de plus, désolé Jean-Paul. Une liste ça parle. Ça écarte. Ça blesse. Et ça formate l’esprit.
Pourquoi fait-on des listes entre deux saisons. Surtout. Ou en avion. En transit. Parce qu’il faut que ça change. Et ça change pendant les bourrasques, les grands mouvements d’air, les déplacements. Le coeur de l’été n’intéresse pas le dresseur de listes. Ou si peu. On fait toujours une liste résolument. Pour y voir clair, être sûr, que ça déborde pas. On borne avec joie. Avec ravissement. Parfois avec stupeur, si la liste n’est pas bornée. Cent-trente-deux. Tu parles d’une liste. Qui s’allonge longe longe. Faut tenir à jour. Dans un mois ce sera cent-quarante-trois. Saaa-lopes ! Qu’est-ce que je m’amuse bien en tout cas. Oui je suis malade, je sais. Je suis instable. Détestable. Priapique. Alors je m’accroche aux listes, il n’y a que ça. Ces montagnes de viande me rassurent. Odette. Bérénice. Carla. Anne-Claire. Josiane – fameuse, Josiane ; un peu grasse mais fameuse (ou grasse donc fameuse, comme les cailles ?). Lucienne. Pauline. Nadège. Enfin je dis Nadège. Roberta. Tiens, pourquoi j’ai pas noté ses seins, à Roberta ? Quatre étoiles. Curieux. Me souviens plus, tant pis.

Terribles listes. Stupides listes. Connard.

Je parlais plus haut de la complication dite de « Hilvoorde-Pfaff ». Je vais tenter de la décrire avant que mon train arrive ; d’autant qu’un de mes amis – appelons-le Benoît – souffre de cette étonnante complication, parfois pénible à gérer en société ou dans les partouzes. Benoît, donc, qui n’est pourtant pas géomètre, mais représentant en aspirateurs, eh bien que fait-il ? Il prend des mesures. Littéralement. Il ne se passe pas cinq minutes dans la vie de Benoît sans que celui-ci ne sorte un mètre pliant (ou un centimètre de couturière en hiver), et MESURE. Le diamètre d’un bol. L’épaisseur d’un sandwich. La largeur d’une porte d’ascenseur. Le faciès d’un type qui attend au feu rouge. Pardon monsieur vous permettez. Bougez pas. Benoît dégaine son ruban jaune, s’exécute avec sérieux. Voilà.  31,7 centimètres de haut, 23 de large, merci monsieur ! Le type reste interdit. Et Benoît sort son carnet, note le résultat dans une de ses listes. L’intègre ensuite dans un graphique. Douze ans que la maladie l’a pris. Gigantesques bases de données.  Le pire c’est que souvent Benoït revient mesurer des choses qu’il a mesurées auparavant. Voir si ce balai n’aurait pas poussé d’un centimètre. Cette lampe. Ce fauteuil de cinéma. S’il ne se serait pas un peu élargi avec le temps et les records d’affluence. Benoît ne loupe rien. Les listes tapissent sa chambre. Les chiffres. Des millions de chiffres dessinés avec application. Quand on demande à Benoît pourquoi il se donne tant de mal, il répond il faut que ça rentre. Il faut que ça rentre. Invariablement il répond ça. Décontenancé, le questionneur s’aventure parfois à demander qu’est-ce qui doit rentrer et dans quoi. Et Benoît regarde fixement, avec ses yeux de perceuse, l’importun questionneur. Qui baisse alors les yeux.

Je ne sais pas combien mesure mon train, mais il arrive.
Et j’ai des listes à faire. Listériose en vue.

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26 Réponses to “Listériose et sandwich épais”

  1. Leo Nemo Says:

    Fais gaffe Nicolaï je suis en train de faire la liste de ceux qui se moquent de la manie de faire des listes.

  2. Une fille Says:

    Beaucoup ri, Merci !!! Vous êtes brillant et vous place maintenant dans ma it-liste ! A bientôt Cher Nicolaï

  3. Sophie K. Says:

    C’est aussi pour ça que ça marche, les face-book et autres, finalement. C’est la compulsion aiguë du collectionneur, mélangée ensuite avec l’idée de tri, genre « les dix meilleurs », effectivement. De quoi devenir zinzin.

  4. Christophe Borhen Says:

    Je vous lis et vous relis. Je ne sais pas pourquoi – mais vous allez bientôt le savoir -, je pense, ici et maintenant, à mon grand-père, à ma grand-mère, à mon oncle (2 ans) et à ma tante (4 ans). Je traduis : en Haute-Silésie, on ramassait les cendres à la pelle, et les cadavres à l’appel.

    Bien entendu, je n’ignore pas les listes miraculeuses.

    Et ainsi de suite.

  5. Nicolaï Lo Russo Says:

    Oui. On n’en sort jamais. On a beau mais.
    Par ailleurs, Christophe nous rappelle ces listes, terribles, qui ont marqué l’Histoire. Observons cette matinée un instant de silence. Et cette chance que nous avons, nous, de ne pas figurer sur ces listes.

  6. Vinosse Says:

    Je le note!

    (ma liste s’allonge… hahaha)

  7. Vinosse Says:

    Mais pas toi… mon pauv’ Pinochio…
    T’est trop vieux maintenant…
    Même tes cheveux blancs poussent plus!

  8. Manuel Says:

    Nicolaï lo Russo, avec son côté lapidaire, fait figure d’éveil, de porte-lanterne qui éclaire le chemin. Un autre jour j’essaie d’expliquer pourquoi « lapidaire » (mais c’est ça l’origine de l’écriture, l’inhumation, la stèle, la liste…) dans son rapport à l’éveil. Je l’ai noté en lisant Hyrok, et c’est encore plus lapidaire de mon côté.

  9. Manuel Says:

    Dur comme la réalité, peut-être, un éveil. Qui se mord la queue, qui caresse Dieu au lieu de le montrer. Le plus drôle est que les premières pages, que Marie disait qu’il fallait couper, je m’y reconnais, je sais pas, mais c’est un partage…

  10. Marie Says:

    @Manuel: « les premières pages qu’il fallait couper ». Oui, je dois avoir des velléités castratrices, parfois;)
    @Nicolaï. Je préfère vous épargner la liste de mes tocs. Ce qui m’épate, c’est qu’ils évoluent avec le temps, l’imagination dans ce domaine n’a pas de limites.

  11. Manuel Says:

    @Marie, je n’allais pas si loin, pensons au jardinage.

  12. Filou Says:

    Je me demande où vous allez chercher tout ça. Il m’a fait bien rire ce post, Nicolaï, c’est toujours surprenant, entre l’info et l’invention, si on ne connaît pas votre style particulier (souvent cynique) on peut presque tomber dans le panneau…
    Autrement j’ai enfin la revue littéraire avec un extrait de HYROK, que j’ai relu avec grand plaisir! on attend le pavé maintenant! allez allez :) Tres dure a trouver cette revue mais je la voulais, heureusement il y a aussi de bons textes dedans, j’ai pas encore tout lu..

  13. Lester Says:

    La ptérodactylose spongimorphe j’aimerais pas la chopper moi! lol

  14. lataupe Says:

    Je vous découvre, et vous lis pour la première fois. Mon sentiment est mitigé, je voulais vous en faire part. Il me semble que ces retours de lecture immédiats, et presque intuitifs, ont quelque importance, pour un ‘écrivant’. Ce n’est pas un regard critique, je ne saurais, ni ne voudrais, m’étendre, c’est une parole directe, à vif, à chaud j’aimerais dire. Mais, au fond, prenez-le comme vous le souhaiterez… Je trouve cela assez éclatant, brillant même (si si!), vif, (supposément?) drôle et alerte, (gentiment) acerbe, dans l’air du temps, dans l’air du temps, dans l’air du temps… Mais à la fin j’ai l’impression étrange de n’avoir rien lu, rien du tout. J’ai cependant tout compris, en souriant parfois, mais plus rien ne reste. Je n’ai rien entendu. Je crois, (oserais-je tenir un propos aussi définitif? Bah oui!), qu’on reconnait un écrivain à sa voix, à l’impact de sa voix, à la force de sa voix. Dans le grondement, dans le chuchotement, quel que soit son discours, ou sa parole (et nul n’est besoin de briller pour cela), on entend SA voix. On l’a entendu. On l’entendra.

  15. Wolf Says:

    salut la taupe :)… j’essaye de comprendre ce que vous dites et je vois bien, mais comme vous êtes une lectrice nouvelle, le style des billets vous échappe peut-etre? C’est bizarre vous trouvez celui-ci brillant mais il ne vous en reste rien. c’est peut-être au niveau de votre mémoire qu’il faut chercher? lol Ou alors, autre aspect: ce qui touche ou ne touche pas, et ça c’est très personnel… Moi je me souviens de choses très bonnes ici, pour ça que je repasse, autrement y en a assez des blogs, en fait c’est juste pour se détendre faut pas se prendre la tête la taupe! …

  16. Wolf Says:

    j’en ai même oublié de trouver ce post très bien et de le dire! je m’attendais à un truc de biologie moléculaire en arrivant et ben non : je suis surpris et tant mieux. et c’est toujours agréable à lire, comme du petit lait ça se boit! (je trouve)

  17. lataupe Says:

    @Wolf: (…on entend SA voix. On l’a entenduE…). Correction sur commentaire précédent… Sinon: -je suis UN lecteur -et je ne me « prends pas la tête »(!). Il me semble, simplement, que tout ce qui est donné à lire est à « prendre » avec le plus grand sérieux -j’ai une mémoire (vous allez me trouver vaniteux) phénoménale (c’est ainsi, je n’y peux rien) -mais vous avez raison sur un point, j’ai cependant eu à prêter attention, je vous entends très mal: on ne peut pas plaire à tout le monde…

  18. Nicolaï Lo Russo Says:

    @lataupe. Merci d’avoir poussé la terre jusqu’ici. Ne pas plaire à tout le monde est pour moi une des conditions nécessaires à l’écriture. Autrement c’est mollesse et transparence. J’essaie par ailleurs, dans le cadre de ce blog un peu expérimental, que vous dites juste découvrir, de me tourner vers autre chose que cette – je dirais sempiternelle – « écriture du moi » où vous semblez, vous, chercher activement votre « voix ». Vous savez, les voix, dans la multitude bruyante de « vocalisants » il faut un peu s’en méfier ; être humble aussi. Mais vous êtes beaucoup plus sérieux que moi. Plus attaché aussi. Le monde est pluriel et c’est bien comme ça.

    @Tous. Merci.

  19. Coryphée Says:

    Je ne sais pas si il y a un style, une voix, mais il y a clairement un ton dans ce blog, que je trouve pour ma part intéressant et que j’aime lire. Ce billet-ci est particulièrement réjouissant, merci.

  20. lataupe Says:

    Merci, en effet, (je rejoins ici le commentaire précédent, mais sur un point), d’avoir répondu avec intelligence. Je précise, en insistant, qu’à titre personnel je n’ai rien contre vous; vous m’êtes plutôt sympathique, et ma remarque, sincère et dénuée de toute arrière-pensée, est une forme de respect (pour votre ‘travail’)…
    La littérature du moi? Autofiction(s)? Ce sont des définitions aléatoires. Existe t-il, réellement, autre chose qu’une ‘écriture du moi’ (le débat est ancien…), sous différentes manifestations? Cette littérature est celle que je lis, le plus souvent, le plus régulièrement, mais pas toute. La narration de soi est, il est vrai, sans intérêt. Elle est malheureusement fort commune aujourd’hui. Mais la méfiance de soi, l’interrogation de soi comme objet d’un questionnement (et d’un témoignage) plus vaste (une sorte de ‘littérature des moi(s)’), ainsi que la liberté de soi, le jeu sur soi, (une ‘littérature de l’émoi’), ont, peut-être, quelques importances. Elles impliquent une gravité non feinte (et qui n’exclut pas une certain humour, j’ose l’espérer), une grande (volonté de) lucidité, et une humilité totale, un effacement quelque part…
    Bonnes routes à vous, dans la pluralité des mondes.

  21. Vinosse Says:

    J’ai noté sur ma liste, 3 interventions de Lataupe, à la quatrième il sera…

    … quand vous voulez, j’ai pas d’heure.

  22. lataupe Says:

    … Bientôt une heure (avec le décalage), mais j’avance!-) Horloge publique, c’est un premier pas dans le débat critique, non!? C’est un début!?… Mais gardez l’heure, cher ami je vous prie, je ne reviendrai plus…

  23. Vinosse Says:

    Oh, moi ce que j’en dis…

    Je ne faisais qu’imiter l’horloge parlante…

  24. Nicolaï Lo Russo Says:

    @lataupe. D’accord avec vous. La « littérature du moi » est intéressante quand (paradoxalement ?) elle va vers le toi ; qu’elle ne reste pas qu’un dialogue entre le moi et le je. Et puis tout livre dévoile peu ou prou son auteur. Qui use de masques comme il peut.
    Revenez quand vous voulez, lataupe, j’aime bien les bestioles qui font des trous.

  25. Sophie K. Says:

    (Vinosse, tu m’as fait cracher de rire tout mon coca sur mon clavier, spice de clown !)
    Sinon, même si je ne suis pas d’accord avec lataupe, je trouve sa critique élégante (ces temps-ci, c’est appréciable).

  26. Vinosse Says:

    A vrai dire, il suffirait que lataupe change de pseudo et tout de suite on y verrait mieux…

    (attention une vanne est cachée dedans, saurez-vous la retrouver?)

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