
Nous avons échappé à la catastrophe, mes frères : j’ai trouvé un éditeur pour HYROK. C’est, selon toute vraisemblance, officiel depuis quelques jours, je peux le crier. On m’a signé voilà une semaine. Pour ceux qui ne savent pas, cet éditeur, signataire du contrat, ce « on », c’est Léo Scheer, Paris, cinquième étage porte droite ; le bouquin, 516 pages serrées (Garamond corps 10,5), sort le mercredi 7 octobre 2009 à 9h30 dans la collection M@nuscrits, wagon n°7 voie B, toutes les bonnes librairies – et même quelques mauvaises, sans doute. Les dernières corrections sont en cours de français. Les toutes toutes dernières avant que ça gèle.
Tu parles d’une correction, mon brugnon.
Pas été facile. Quelle tannée ce truc-là, de se faire publier. De dire voilà les gars ça y’est, haha, la petite barrière est franchie, hop. Je peux le dire : ça a mis quelques années. Trois. On a vu pire mais bon.
La petite histoire à gratter ? La traditionnelle petite histoire. Bien. D’accord. Pour les archives, les entrailles du web, ok. Je la raconte, surtout, parce qu’on est quand même passé pas loin du désastre ; j’aime autant vous dire. De la mort. (Dans d’atroces souffrances évidemment, voyons.)
Voilà l’histoire, donc. En treize points. Tant qu’à faire, autant être superstitieux.
1- Novembre 2006. Je mets un point final à la version 2 du manuscrit (tapuscrit, en vérité, mais ce mot est tellement laid, tellement toc-broc, que je garde manuscrit). 549 pages A4. J’y travaille depuis deux ans. J’y pense depuis cinq au moins. M’envole avec M., ma dulcidouce, début décembre, en Pologne, Cracovie, quelques jours. C’est l’hiver, juste avant Noël, tout brille. Envie de lui faire lire. Cadeau. Voilà, lis, ma chérie. Lis, je viens de finir. (En fait ça commence. Tout commence.)
Elle aime. Normal. Elle m’aime. Elle pleure à la fin. Flocons qui fondent sur son visage chaud et beau. Je me souviens très bien. Et j’aime les filles qui pleurent à la fin. Craco-vie la sublime. Gravée dans mon coeur.
2- Mars 2007. Après les primevères. J’ai fait lire à quelques autres. Le fameux petit cercle. La version 3. Puis 4. On a aimé. On n’a pas aimé. On s’est vexé. On s’est quitté. Rancoeurs et jalousies. Normal. C’est qu’il y a des choses dans ce livre. Dans ce livre qui fait désormais 557 pages. 8 ont germé en trois mois. Le printemps s’annonce magnifique. Mais brutal.
3- Avril. Le 6 avril. Grand Jour. Je prépare l’envoi « par la poste » de quatorze premiers manuscrits « avec mes coordonnées ». Comme il se doit. Et comme je ne « connais personne ». Version 5 ; qui fait maintenant 510 pages environ – un petit amaigrissement que je vois salutaire (j’ai finalement viré des pages jugées trop « techniques »). Donc : Fayard ; Grasset ; Seuil ; Stock ; Denoël ; Flammarion ; Albin Michel ; Gallimard ; Le Dilettante ; Le Diable ; Léo Scheer (si si) ; Lattès ; Belfond ; Hachette Littératures. A l’attention de l’éditeur, au moins d’un directeur littéraire « choisi ». Coût de l’opération : 457€. (15 manuscrits à dos collé, à 30 euros pièce + 7 euros d’envoi au Diable Vauvert, qui est loin de Paris, et à qui je ne suis pas allé déposer l’enveloppe craft moi-même – qui suis postier, parfois, mais pas encore pilote de Cessna.)
Le tout, accompagné chaque fois d’une courte « lettre d’accompagnement », la même ; elle est très simple, je vous la livre entière :
(…)
— … autrement, quel livre auriez-vous aimé avoir publié ces années-là ?
— HYROK, sans hésitation. Mais il nous a échappé… Il me semble bien l’avoir vu passer pourtant…
— Ça arrive parfois oui… À part ça ? Pas d’autres petits regrets ?
— Je ne vois pas non… Hammerstein peut-être ; Calache aussi… Les francs-tireurs qui sont venus ensuite quoi… Des gens devenus nécessaires, par ces sombres temps… On en a quand même sorti quelques-uns heureusement !…
— Léo Scheer un très grand merci !… Nous allons devoir hélas rendre l’antenne…
(« Viens dans ma fiction » ; © France Culture, 2027)
Les autres, idem, même lettre : Bernard Comment un très grand merci, Marion Mazauric un très grand merci, Jean-Marc Roberts un très grand merci, etc. 14 fois.
4- Avril. Le 7, lendemain de mon dépôt, Bernard Comment, le directeur de la collection Fictions&Cie au Seuil (de l’étouffement) me téléphone en fin d’après-midi. « Oui, bonjour Monsieur Lo Russo (…) excellent courrier (…) lire au plus vite votre manuscrit (…) à très très bientôt… » Putain. Déjà. Ça mord sérieux cette lettre haha ! C’est vraiment facile de les avoir en fait ! Génial, génial… Ah si Wrath savait ça, qu’il suffit juste d’une bonne lettre d’accompagnement…
5- Mai 2007. Aucune nouvelle de Bernard Comment. Il doit lire lentement, c’est certain ; savourer ; et se garder les meilleurs pour la fin ; pour le dessert. Patience dans l’azur.
Les autres ? Rien, trois retours avec « lettre standard de refus » (je vous en fait grâce). Bon bon bon. On va passer un bel été je sens. (En fait, Bernard Comment me répondra par une lettre manuscrite presque illisible, début juin, dans laquelle « après lecture », il « renonce à publier HYROK », malgré « un matériau formidable, qui ne manque certes pas de qualités ni d’ambition ». Les vraies raisons du refus, qu’il éludera en m’envoyant « exceptionnellement » une note de trois pages d’un de ses lecteurs vaguement courroucé par ma prose, me resteront à jamais confuses, pas nettes. Je lui récrirai une longue lettre, demandant quelque explication, mais qui restera lettre morte. Bernard Parce Que.)
6- Ete 2007. Avec les premiers coups dans l’eau, les premiers renvois de manuscrits – « récupérations » à pied plus précisément –, j’aborde, un peu déçu, la liste des « moyens et petits éditeurs », à qui je livre les manuscrits retournés (m’efforçant de restaurer ceux qui me sont rendus maculés, d’effacer les taches de café, ou de merde (de pigeon ?), avec du papier de verre 000 – les saligauds). Entre deux rayons de soleil sur mon balcon, je tombe un peu par hasard sur le blog des éditions Léo Scheer, tiens il a un blog lui… (à vocation longtemps « interne », mais qui dépasse quand même de beaucoup dans la blogosphère « externe », eh oui, sans quoi je ne serais pas tombé dessus.) Léo Scheer qui visiblement n’a pas encore lu le manuscrit que je lui ai adressé personnellement. Je prends un pseudo, tiré de mon roman : Strangedays ; et commence à arpenter les murs gris de ce blog. Ça a l’air de parler bouquins, édition… Sait-on jamais. J’en profite pour ouvrir la brosse Gherta, histoire de, ça donne une contenance, un point de chute dans l’océan.
7- Automne-hiver 2007-2008. On est à vingt-trois éditeurs. Merde. J’ai quand même fait réimprimer 6 manuscrits d’une nouvelle version qui s’appellera « HYROK, ou la vérité sur la vie de Louison Rascoli ». Premiers retours de « lettres circonstanciées ». Qui me serviront d’une part à modifier mon texte (très légèrement, car les avis sont souvent contradictoires), et surtout à composer une nouvelle lettre d’accompagnement, pour mes envois de printemps, où je ferai, cette fois, le coup de la « revue de presse » (authentique, vérifiable, et bien évidemment élaguée des « points de réserve »).
8- Novembre 2007. Stand-by. Mon manuscrit est « en balance » chez Denoël, mais ça dure, ça dure, c’est terrifiant. C’est à se demander ce qu’ils veulent. Comment ils travaillent. (Je passerai tout l’hiver à attendre. Attendre qu’ils aient fini de se gratter.) Pendant ce temps, »Strangedays » rencontre Léo Scheer pour la première fois à la galerie éponyme. Prix Sade 2007 (Salopes, de Denic Cooper,chez P.O.L). Ah c’est vous Strangedays. Oui c’est moi. Bonjour bonjour. Contact sympathique-tac. Je ne lui parle évidemment pas de HYROK (qu’il n’a sans doute pas vu passer), mais plutôt d’un autre projet, tout à fait hors monde de l’édition. Petite diversion galactique, sans suite.
9- Décembre. Léo Scheer sort de son P4 un concept de collection en ligne intitulée M@nuscrits, en carbure de titane. Suffit juste d’uploader des m@nuscrits pour se faire lire par la « communauté » (alors naissante). Et de pas oublier le « @ » désormais. Important le « @ ». Bon. Verra bien. Prudence est mère de sûreté. Ne pas se précipiter. Attendre encore. Hiver figé. Noël. Morne et froid. Saumon celte, huîtres et déception. Bilan de l’an. C’est vraiment dur d’être édité. C’est impossible. Si tu connais pas. Un gros machin pareil surtout, avec des poils. Impossible. Refusé refusé refusé. Ça y’était presque, pourtant. Merde de merde. Reste Denoël. C’est que j’y tiens à ce bouquin, et sacrément. Enfin, ce pas-encore-bouquin. Qui à la fin de cette année m’a coûté pas loin de six cents euros ! Ça va vite les « manuscrits papier » mon enfant. Quand je pense à ce que gagne un « jeune auteur » pour son premier livre en général… Faut avoir envie !… Bref. La question n’est pas là.
10- Printemps 2008. Bon début d’année, autres projets prometteurs. Petit éclaircissement malgré un « non » chez Denoël du bout des doigts. Je fais le pitre sur le blog de Léo Scheer. Je bataille avec les Stalker, Müller, et autre Marco. On affûte les couteaux, croise les fers, parfois furieusement, pendant que Barberine prépare tranquillos sa sortie dans M@nuscrits en première mondiale. On se demande, on spécule, on se gratouille, on jase, on fait mine. C’est nouveau. Je me surprends à me dire et si. Et si Léo Scheer. Ce qui me refroidit un peu, c’est que je reçois à ce moment-là une lettre de refus-type des éditions… Léo Scheer ! Moi qui pensais – qui espérais – que depuis le temps ils avaient paumé mon manuscrit ! (sans @). Tu parles. Retour, à la queue leuleu, avec les autres, et sans un mot. Ça va pas être simple du coup.
En attendant, comme faut pas mollir, je prépare la suite, satanés nouveaux envois : sept HYROK version 8 toute fraîche, que j’enveloppe dans du papier noir avant dépôt. Noir comme la guerre. Plon ; Cherche-Midi ; Balland ; Le Passage ; Verticales ; Calmann ; Anne Carrière (bon là ce serait erratique, c’est vrai). On dirait des munitions, ces paquets ; des bombes que je vais aller lâcher à Saint Germain. Là ça va péter c’est sûr. D’autant que cette fois je joins la lettre « revue de presse », fruit de mes envois précédents, le sésame assuré, le pied de biche imparable. Pensais-je.
« Le récit de la destinée tragique de ce photographe possède un véritable souffle (…) Un réel talent d’écriture dont l’harmonie principale réside en un subtil mélange de force et de fluidité. » (P-G de Roux, Dir. litt, Le Rocher)
« Il y a là un matériau formidable, qui ne manque certes pas de qualités ni d’ambition… » (Bernard Comment, Dir. litt, Seuil)
« Ecriture fluide et inventive, au service d’un vrai sujet… » (Claire Delannoy , éditrice, Albin Michel)
« On peut se prendre au jeu et se dire que le texte aurait une valeur sociologique et anthropologique pour les générations futures (…) au fond, le dispositif narratif est assez malin. Et puis le dénouement est une réussite. » (Comité de lecture ; Seuil)
« Originalité des jeux formels (enregistrements, blog, sms…), mais des passages un peu graveleux… » (Comité de lecture, Flammarion)
« Il y a plein de choses bien » (Guillaume Allary – par e-mail ; Hachette littérature)
« C’est très intéressant… (…) A mon avis, il ne faut surtout pas enlever les passages un peu limites… ». (Audrey Diwan – au téléphone ; conseillère éditoriale, Denoël)
Pas mal hein ? Un éditeur qui reçoit ça avec le manuscrit, merde, il s’intéresse, non ? Il jette un coup d’oeil. Eh ben non. Rien. Rien de positif se passe. Juste Verticales et Plon (une catastrophe, Plon, hallucinante, que j’ai déjà relatée ici.) Pour Verticales, on m’adresse une réponse en juillet, où il est dit dommage que le style de la première partie ne se poursuive pas dans la suite du roman ; que ça « tombe dans l’oralité ». Z’ont rien compris, eux, rien. Pas bien lu. Pas lu, plutôt. Pas le temps. Faut les comprendre. Merci quand même Verticales pour vos mots horizontaux. Les autres, rien, on est en juillet, pas de nouvelles. Et là on est à pas loin de huit cents euros ! pas loin de trente éditeurs contactés ! Ça commence à faire. Energie, argent, mauvais sang. Quelle merde. Envie de poser un pain de plastic dans ma boîte aux lettres. Qu’il n’y ait plus de boîte aux lettres. Plus de refus. Houellebecq était dans ces eaux-là pour son premier, avant Nadeau. Trente éditeurs. Ça console, mais bon.
Bientôt deux ans que je cherche un éditeur. Un mec qui comprenne.
Léo Scheer c’est cuit, ok. Mais imaginons : si, soudain, après la « rétro-publication » (son dada de rendre concrets certains textes venus du net – six à ce jour), il accrochait au concept de rétro… résurrection ?! : le manuscrit noyé, trucidé par la voie dite « normale », mais sauvé des eaux par M@nuscrits ! Ça serait-t-y pas une belle histoire, hein Balthazar ?
Reste qu’à essayer, j’ai plus rien à perdre.
11- Eté 2008. J’envoie une nouvelle, une historiette un peu marrante, en format pdf dans M@nuscrits. En mon vrai nom. Pour tester le truc. Tâter le terrain. L’Ivre de Zob. Et ça se passe bien. J’ai rapidement des commentaires positifs, d’internautes de passage, de blogeurs, d’habitués, d’autres « m@nuscrivants ». Je me dis tiens, il y a peut-être quelque chose par-là. Une petite fissure où je pourrais m’enfiler. En plus, ce comité de lecture est autrement plus disponible et accessible que les « lecteurs des maisons d’édition », cette trop sombre brigade.
La suite est connue de certains. Rapidement : Léo Scheer, en vacances en Corse « mais avec une connexion » me propose de lui envoyer une version pdf de HYROK (version 9), dont je lui ai fait lire le prologue. Depuis le temps, grâce au blog, à mes interventions fréquentes, il me connaît un peu. Connaît aussi mes déboires avec ce sacré gros texte, ce rorqual malheureux. Il décide alors, depuis sa crique bleue, de le mettre en ligne en entier, après l’avoir copieusement tronçonné en dix tranches. (Ce qui m’a fait un choc terrible, quand j’ai vu ça sans avertissement.) Mais je lui fais confiance. Dés septembre, débutent les lectures de commentateurs courageux – près de cinq cents pages à lire en ligne, faut s’y coller. Dahlia, blogueuse influente, étonnante d’assiduité, fera le premier pas décisif. Trouve le livre « dément ». Ouvrira la porte à d’autres, avec beaucoup de bienveillance. HYROK, tranquillement, s’enfonce dans l’automne, puis dans l’hiver, recueille pas mal de commentaires, d’avis favorables de lecteurs divers. J’en suis heureux mais abasourdi, quoique je sache, au fond de moi, que c’est un bon texte.
12 – Printemps 2009. Sélectionné dans la Revue Littéraire N°38 des ELS pour un extrait (le prologue), j’apprends par Florent Georgesco, éditeur maison, que HYROK est un roman « à paraître ». Quand ? peu importe. On verra. Je suis fou de joie. A paraître ! Miraculé.
Un peu plus tard, une date tombe. Ressuscité.
Mi-juin, j’envoie à Florent une version 10, la toute dernière de mon crû, pour corrections, dans une vraie allégresse.
13 – Fin août. Retard monstre. No news. Mais j’attends en sifflotant. Pas encore signé. Parfois j’imagine le pire. Non, ils n’en seraient pas capables. Quand même pas. Non, je déconne. Tout va bien. Faut juste attendre encore. Profiter pour changer un mot çà et là. Toucher une phrase. Passe-moi la lime, Brigitte.
Florent est sur trois feux simultanés. Il n’aura pas le temps de s’asseoir à côté de moi. Navré – il a aimé et défendu HYROK –, il passe la main. Ah zut.
C’est finalement l’excellente Julia Curiel, « assistante » éditoriale qui s’y collera – éditrice, allez : en fait, tout le monde fait tout, là-bas, ou presque.
Le temps presse. Heureusement, peu de corrections. Les règles typos, quelques virgules, un alinéa à faire, une phrase un peu bancale à régler. Du beurre, mais faut « scanner » plus de 500 pages, l’œil bien ouvert pour traquer les coquilles, faire la maquette, la quatrième de couv’, ça prend un temps considérable. Dizaine de jours de travail.
Là, ça sort tout chaud de l’imprimerie. Séquence émotion.
Le bébé fait un peu moins d’un kilo. C’est pas très gros pour un bébé, mais je peux vous dire qu’il est beau. Bientôt dans vos bras, si vous le voulez bien.
Semaine prochaine, je vois Anne Procureur, attachée de presse fort sympathique-tac. Tic-tac…
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