Bon allez. Souhaiter les voeux. Cette fois-ci on y va, se dit Jean-Pierre Lajoie, en se mettant à son bureau. Souhaiter les voeux ; souhaiter les voeux et la bonne santé. Comme de coutume. A envoyer par e-mail — puisque par poste, ils disent que c’est ringard. Dix minutes, vingt minutes : Rien. Rien ne sort de l’os. Rien de bien ne sort sur l’écran 22 pouces, qui semble ricaner. C’est la grande difficulté. Jean-Pierre Lajoie essaie pourtant. Il a choisi une petite image à mettre, pour illustrer. Mais qui ne va pas : alors une autre. Quelque chose d’optimiste, il faudrait, avec des couleurs, de la vie. Jean-Pierre Lajoie tape une phrase sous le gai bonhomme de neige, péniblement, l’efface aussitôt. Recommence. Une phrase un peu drôle, qu’il souhaite enlevée. Mais ça ne vient pas. Souhaiter les bons voeux, la toute bonne santé : Pourtant simple, mais tout est bloqué. Cette image ne va pas ; ne fonctionne pas avec ce que Jean-Pierre Lajoie a envie de dire cette année. Imaginer quelque chose de neuf pour l’an neuf. « Bonne année à tous, amis du web ! » Amis ? Ou : « Merde à 2009 et à la saloperie de crise ! » Voilà qui est plus original. Peut-être même inédit. Jean-Pierre Lajoie hésite, transpire au col. Il ne sait pas. N’ose pas brusquer. N’a jamais osé. Et puis les images ? Toujours les mêmes. Tenez : Ciel d’hiver avec soleil, église. La neige brille, pleine de promesses ; d’espoirs neufs. Déjà vu ! Et puis les espoirs on sait ce que ça donne ; avec ou sans église. Ou alors ça : Quand on était avec Françoise, Tom et Lia, dans le jardin de Michelle, avec les églantiers derrière… On riait tous les quatre… Que du positif cette photo… de la joie… de la joie et de la lumière…, se dit presque joyeusement Jean-Pierre Lajoie. Qui se dit aussi que Françoise a salement grossi, quand même, enfin exactement qu’elle n’a pas maigri, comme elle pensait, depuis son accouchement. Pas un gramme. Ça risque pas avec tout ce qu’elle bouffe, tout ce qu’elle descend, continue d’observer Jean-Pierre Lajoie, le souffle bref, les yeux rivés sur la photographie.
Que choisir pour ces voeux, alors ? Tom sur sa luge « turbo » l’an dernier à Grenoble ? Françoise en maillot face à l’océan ? Le visage bouffi et rougeaud de Lia qui hurle dans le coton ? Non. Faut sortir de tout ça, songe Jean-Pierre Lajoie, résolu ; infiniment résolu. Innover absolument.
« BONNE ANNEE DE LA CARPE », tape alors Jean-Pierre Lajoie, l’air serein, avant de se lever et d’ouvrir la fenêtre pour sauter.