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Punaise

27 mai 2009

Je vole

Tout ce bleu, cette étendue sous moi !… Je vole !… Un grand lac… Non !… La mer ! Oui la mer ! Même l’océan !… Immense surface de cobalt… Je suis un goéland femelle, un hydravion monoplace, un moustique de l’air… Je pique, je pique, je pars en vrille, je loope, libre, libre myriade cellulaire,  je remonte, verticale, au soleil zénithal ! disque essentiel, au sommet du bleu, toujours ce bleu, irréel…
Des balafres dans l’azur ! On me tire dessus ! On me mitraille !… Ces balles bien visibles, je les évite ! Je suis la plus leste, la plus maline, vous ne m’aurez pas !… Vous, sales bestioles terrestres ! Rampantes, salaces, poisseuses, voraces !… Pas que je m’échappe, disiez-vous, mais il est trop tard ! Je fonds vers d’autres terres, sous d’autres cieux ! Une autre vie m’appelle, allez-vous faire !
Ah ! Touchée ! Parbleu ! Pointe vive dans ma carlingue de chair, funeste piqûre, mais sans conséquence : je suis immortelle !

Brigitte Morel se retourne lourdement dans son vieux lit. Paupières closes, elle se palpe l’épaule,  la petite brûlure qui l’a sortie du sommeil. C’est visqueux. Brigitte Morel, demi-consciente, porte un doigt instinctif à sa bouche, qui lui délivre le goût du sang. Piquée. Par quoi ? Non. Non non. Replonger. Il faut que je replonge dans ce rêve… Dans l’immensité sidérale de cette autre vie… dans la saveur magique de ce temps parallèle !… Il faut oublier.  Survoler Les Bermudes, Les Iles de la Sonde, les Aléoutiennes… Il faut !… Que je tournoie au-dessus de la Place Rouge, de la Grande Pyramide, des Jardins suspendus de Babylone ! Que j’atterrisse dans les parcs embaumés des palaces… Où des garçons gominés m’attendent, des bien virils, qui se pavanent sur les terrasses en bois rares. Moi aussi j’en veux de cette vie ! De ces hommes ! Partager avec eux des cocktails ingénieux, des silences fruités, des promesses, et des fous rires sous la lune… La lune du clown des tropiques… Mon clown, mon petit clown chéri… n’oublie pas ton goûter… Des dahlias bleus, étranges, autour de ton visage, Mon Amour impossible… ton petit nez peinturluré, rouge écarlate, comme un fruit qui éclate… et ce jus, ce suc que tu lèches de ta langue d’écureuil….
Tu joues avec d’autres enfants, vous courez, il y a une piscine qui donne sur la mer. Ce doit être dans la Grèce Antique, quelque part là-haut, vers l’Olympe, où les Dieux du Monde règnent sur les blancheurs, décident des reflets… Tu brilles, mon enfant ! De partout tu brilles, ta peau irradie, élastique, sublime, ton petit corps doré, où scintillent les mille feux de l’eau vive.
Fière, magistrale sculpture, moi je suis debout, au centre d’un cadran solaire, à côté du bassin turquoise, l’ombre de ma silhouette indique la course des heures, et je brûle sous les rayons imparables, je me consume !… Il ne restera rien si je persiste dans cette lutte immobile, perdue d’avance… Rien de moi… Je dois partir, partir encore. Et te laisser, petit clown sans visage… Tu es une plume, mais bien trop lourde pour ce qui reste de mes ailes…  Adieu mon Amour, mon seul Amour, sois bon, et fort, dans ce faux paradis.
Je cours pour reprendre mon envol, agitant mes bras de haut en bas, mais le Ciel ne veut plus de moi. Je suis la honte des nuées, la grande absente des nuages ricanants et moqueurs : « Alors comme ça on se prend pour un oiseau ? Ha ha ha ha ha ! » C’est méchant un cumulus qui éclate de rire, méchant et tellement effrayant !… Happée, je me retrouve dans sa gueule humide, épais brouillard puant dans lequel je distingue, malgré tout, une forme noire, mobile, humaine ! Signe de vie essentiel en ces limbes soudaines…
C’est toi, Jacques ! ma providence !… Tu es nu… tu as froid… homme sans sexe, tu t’approches de moi, Mon Homme ! J’entends tes sanglots d’homme. Viens, entre en moi ! Encore une fois, donne-moi ta semence infertile ! J’en ferai des étoiles, tu verras ! des nouvelles galaxies ! Que nous irons toi et moi visiter, à des années-lumière !
Dans la nappe grise, les contours flous d’une maisonnette aux tuiles cassées ; c’est notre Chez Nous, à la lisière du Bois des Chaux ; la barrière a été défoncée, un énorme feu crépite dans le coin des églantiers, il y a des gens tout autour. Des gens avec des manteaux épais, des écharpes et des regards d’illuminés. Les Chasseurs de l’Apocalypse. Qui brûlent des meubles,  des jouets, des chaises de bébés !…   Nooon ! Seigneur Dieu ! Nooon !!!….
Un lapin marronnasse, à moitié carbonisé, avec des fumerolles qui s’échappent des pattes, couine dans le tintamarre de son tambour déchiré… Drrrrrrrrrrrriiiiii…

(((07 : 45)))

Appuyer sur la touche. Ne pas ouvrir les yeux. Rester comme ça, suspendue.
Brigitte Morel soupire, s’étire lentement, revient au jour dans sa chambre pâle. C’était quoi cette piqûre.  C’était quoi ce truc-là, nom de bleu. Mouvement brusque des chairs amples, marquées par la nuit. Brigitte Morel se redresse, regarde, scrute son matelas près de l’oreiller. Il y a de petites taches sombres. Une punaise. Une saleté de punaise ! Qui l’a mise là ? Pas venue toute seule !
Les gamins à Françoise, peut-être. Trop sages. Ou alors Jacques. Pour se venger. Sacré Jacques. Le beau Jacques. T’es même incapable de m’faire un gosse ! elle lui a lâché un soir, alors qu’il cuvait sa bière. J’en peux plus de toi ! tu fous plus rien, t’arrêtes pas de rôder ! Les petites salopes du Riverside, là t’as du jus, hein, mais avec moi !… Moi, Jacques !  Moi je peux me gratter jusqu’à la Saint glin-glin ! Moi c’est foutu ! Alors ça va bien !
Ça a chauffé sec, ce soir-là. D’abord il a filé doux, Jacques, il ne veut plus d’histoires. Il est parti sans rien dire s’installer dans la caravane — c’était ça ou rien. Il a repris ses petites affaires et voilà. Or c’est pas son genre de rien dire, à Jacques. Possible que ce soit lui cette punaise, oui, possible, songe Brigitte Morel en se levant tout à fait.

Un jour comme tous les autres jours, à peu de choses. Faire chauffer l’eau pour se laver, pour le café aussi. Allumer le poste, la belle voix de Lucien Desarzens, Lucien le poète, qui vous raconte ses histoires, vous invite aux confins du Monde, tous les matins à huit heure et demie. Rêver un moment. Puis se mettre au travail quelques heures, devant la fenêtre, toujours le même travail, devant la même fenêtre. Ce matin les carreaux sont couverts de givre, on voit même pas les mélèzes. L’hiver sera rude.

Brigitte Morel, pensive, frissonne dans son sweat en polaire. Alors elle s’avance près de l’âtre, place une grosse bûche de fayard sur la cendre tiède… Puis elle se tourne vers la chaise adossée à la partie du mur où le salpêtre ne prend pas, juste au-dessous des livres… Elle la regarde longuement : une belle chaise vernie, haute sur pieds, avec le boulier d’origine. Toujours astiquée, impeccable ; la poussière en a presque peur. Une affaire, cette chaise de bébé ! lui avait dit le brocanteur, une véritable affaire !

C’est dans le bois de cette chaise muette que Brigitte Morel a planté la punaise.

Barbapapa

6 mars 2009

barbapapa

Disparaître dans la bouche du monstre vert. Petits rails fragiles. Wagonnet tremblotant. S’enfoncer dans les ténèbres. Tiens-moi la main. On sait jamais. Happé ! on est happé véritablement. Tu sens comme on est happé par le noir ? Et quelle chaleur, là-dedans. C’est intenable. Tiendrons-nous ? Je ne me sens pas très bien, déjà. Tiens-moi bien la main, hein. Ça sent le caoutchouc et… et la… la… Enfin j’aime pas ce que ça sent. Brrr. Tu entends cette chansonnette, aussi ? Ecoute… Cette ode aux pâquerettes et aux fleurs des champs… Pour nous faire croire. Nous abrutir. Nous endormir… Dormez les petits… Dormez bien dans le coton de la nuit… Il enfonça son poing dans le cul du bébé. Avec les bagues. Le cul du bébé ! Il est dix-huit heures trente-sept. Oh mon Dieu. Je viens de faire une compote de pommes. C’est bon la compote maison. Jan Akkerman est un guitariste prodigieux. Finir mon verre de thé. Reprendre un biscuit. Bourrer ma pipe. Bourrer. Etrange verbe. Violent, rugueux, pas très noble. Agricole. Est-ce que ça se dit « cul de bébé » ? Pas tellement. Cet automne, il est possible que je fasse un stage de reliure. Je ne savais pas qu’on pouvait faire des stages de reliure à Paris. Il y en a des choses qu’on peut faire, dans une grande ville, quand on est désoeuvré. Des crimes, même. Des sales choses. Tuer quelqu’un au hasard. Joue, Jan, continue à gratter, profite de la ligne de basse. Un inconnu dans une rue banale, une rue toute simple, une rue quoi. N’importe laquelle mais pas trop éclairée. La vilaine pulsion. Éclater sa face au fléau d’armes. Bonsoir, vous allez bien ? Bam ! Bram ! et Blam ! Entre une Peugeot et une Renault 5, garées loin d’un lampadaire. Cette compote gagnerait à être mangée plus froide, ce serait meilleur. On dit des fesses plutôt. Des fe-fesses. Montre-moi tes fe-fesses ! C’est fou ce que la lumière décroît. Et pourtant les jours rallongent, hein, bébé. Il y a un voyant lumineux, là sur ma gauche. Je viens de l’apercevoir, alors que mon champ de vision l’avait oublié. Téléphoner à mon père. Aller sur le blog de Léo Scheer. Pourquoi j’ai mal à l’aine depuis quelques semaines ? Pourquoi ? Et à la nuque, de plus en plus. En finir avec Jérôme, ce sale bouquin salement fabuleux. Il a dû en voir, Jean-Pierre Martinet, le pauvre. Quelle était l’idole absolue de Jan Akkerman ? Qui l’a inspiré ? Nettoyer cet écran, on voit plus rien. Et cette cervelle sur le capot. Screen & Keyboard Cleaner. Office Dépot. Flacon à « garder hors de portée des enfants ». Et que faire maintenant. Attendre. Qui a envoyé une balle a Sarkozy ? Ça doit faire drôle de recevoir une balle par la poste. Renvoie la baballe Nicolas ! Renvoie la 38 Special à tonton. Petite suée quand même sur ton front, Nico, non ?  J’imagine très bien la goutte couler entre deux rides d’inquiétude. Et tes mains moites de Président qui referment l’enveloppe, tremblantes mais chut. Chuuut. On envoie tout au labo pour analyse. Ce riff de guitare dans le ciel qui se referme. Ou qui s’ouvre à la nuit. Non, tout se referme. Les enveloppes, les ciels, les couvercles, tout. Et les espoirs, la plupart du temps. Julie qui me lisez, vous voyez, hein. Tout se referme. C’est peut-être mieux, finalement. Vous êtes cuisinière, Julie ? Il y a une, deux, trois, peut-être plus que trois Julie qui vont lire ces quelques lignes. Vous faites aussi la compote l’après-midi, vous ? Ou vous, Julia ? Et vous Juliana ? Je… Non, rien. Ça me lance dans la cuisse, à l’instant. Sans doute suis-je mal assis, sur cette banquette.
Que reste-il à écrire. Pourquoi. Que faut-il écrire. Qu’est-il bon d’écrire. Souhaitable. Croiser des regards, se faire croiser les idées. Quelqu’un a dit que j’étais nihiliste. C’est pas tout à fait faux ; mais je construis. Je n’irais pas jusqu’à dire que je bâtis, ça non, j’en serais bien incapable, mais je construis, ça oui. J’ai toujours cru que c’était Sergio Leone qui avait fait Mon nom est Personne. Eh bien non : lui il n’a eu que l’idée, c’est tout. C’est déjà pas mal. Le réalisateur, c’est un mec qui s’appelle Tonino Valerii, tombé dans l’oubli. Le produttore, Fulvio Morsella. En 1973. Prends des notes, Julia, ça c’est des infos capitales, c’est pas de la rigolade. Zaap. Parfois je me demande, comme ça, vers quatre heures du matin, pendant une insomnie, que fait Eddie Quinn, chef machiniste sur L’Exorciste, le film de Friedkin. (1974.) Je veux dire, ce qu’il fait là en ce moment, trente-cinq ans plus tard, pendant que je ne dors pas. A quoi est-ce qu’il pense ; quelle pensées – saugrenues, érotiques, s’il en est – l’habitent, à Eddie, à cette heure-ci, de l’autre côté de l’Atlantique. S’il aime la compote de pomme avec de la cannelle. S’il s’est masturbé avant de s’endormir, tout seul, dans son grand lit de machiniste. Peu probable qu’il m’entende, c’est dommage. Ne pas répondre au téléphone. Ça sonne. Non. Rester là au milieu des stridences et des odeurs de cadavre. L’idée d’un machiniste seul me rend triste. J’aimerais être une mouche et asseinir sur le bout du téton de qui ? De qui ? Imagine.  T’es là, avec tes petites pattes de mouche. Et tu te poses sur un sein. Tu asseinis juste sur la pointe. Et tu commences à danser doucement sur ce bouclier de peau marron. Domiane Hodge-Molarski ne s’en aperçoit pas. Elle, elle bronze. Elle croit qu’elle est tranquille. Que le monde lui fout la paix. Elle est à poil avec ses Ray-Ban. Elle brille d’huile, cette salope de Domiane. A poil, la girl, et toi t’es la mouche. En plein soleil, qui danse. Tu ne vois pas l’ombre qui bientôt va te recouvrir. L’ombre de la lame. Tu continues à danser, comme une mouche dansante. Tu ne vois rien arriver, sur ce sein gauche. T’es une grosse mouche naïve, un peu paumée, qui a besoin de se dépenser. Et qui va bientôt être coupée en deux par une lame pressée. Pourquoi t’arrêtes, Jan ? Pressée d’en finir avec un coeur. Continue, Jan, joue, joue. Joue contre joue ! Joue jusqu’au sang ! C’était bien, c’était kiphant, ta zique ! c’était ailleurs et c’était phort, bouleversant ! Unique. La musique. Le soleil à nouveau. Ah ! Barbapapa, Messieurs et Dames ? C’était pas trop long ce voyage d’ombres ? La lumière, il était temps. Fais-moi goûter. Je veux du sucre, maintenant.


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