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Rétro-résurrection (HYROK, J—10)

27 septembre 2009

manuscrits

Nous avons échappé à la catastrophe, mes frères : j’ai trouvé un éditeur pour HYROK. C’est, selon toute vraisemblance, officiel depuis quelques jours, je peux le crier. On m’a signé voilà une semaine. Pour ceux qui ne savent pas, cet éditeur, signataire du contrat, ce « on », c’est Léo Scheer, Paris, cinquième étage porte droite ; le bouquin, 516 pages serrées (Garamond corps 10,5), sort le mercredi 7 octobre 2009 à 9h30 dans la collection M@nuscrits, wagon n°7 voie B, toutes les bonnes librairies – et même quelques mauvaises, sans doute. Les dernières corrections sont en cours de français. Les toutes toutes dernières avant que ça gèle.

Tu parles d’une correction, mon brugnon.

Pas été facile. Quelle tannée ce truc-là, de se faire publier. De dire voilà les gars ça y’est, haha, la petite barrière est franchie, hop. Je peux le dire : ça a mis quelques années. Trois. On a vu pire mais bon.

La petite histoire à gratter ? La traditionnelle petite histoire. Bien. D’accord. Pour les archives, les entrailles du web, ok. Je la raconte, surtout, parce qu’on est quand même passé pas loin du désastre ; j’aime autant vous dire. De la mort. (Dans d’atroces souffrances évidemment, voyons.)

Voilà l’histoire, donc. En treize points. Tant qu’à faire, autant être superstitieux.

1- Novembre 2006. Je mets un point final à la version 2 du manuscrit (tapuscrit, en vérité, mais ce mot est tellement laid, tellement toc-broc, que je garde manuscrit). 549 pages A4. J’y travaille depuis deux ans. J’y pense depuis cinq au moins. M’envole avec M., ma dulcidouce, début décembre, en Pologne, Cracovie, quelques jours. C’est l’hiver, juste avant Noël, tout brille. Envie de lui faire lire. Cadeau. Voilà, lis, ma chérie. Lis, je viens de finir. (En fait ça commence. Tout commence.)

Elle aime. Normal. Elle m’aime. Elle pleure à la fin. Flocons qui fondent sur son visage chaud et beau. Je me souviens très bien. Et j’aime les filles qui pleurent à la fin. Craco-vie la sublime. Gravée dans mon coeur.

2- Mars 2007. Après les primevères. J’ai fait lire à quelques autres. Le fameux petit cercle. La version 3. Puis 4. On a aimé. On n’a pas aimé. On s’est vexé. On s’est quitté. Rancoeurs et jalousies. Normal. C’est qu’il y a des choses dans ce livre. Dans ce livre qui fait désormais 557 pages. 8 ont germé en trois mois. Le printemps s’annonce magnifique. Mais brutal.

3- Avril. Le 6 avril. Grand Jour. Je prépare l’envoi « par la poste » de quatorze premiers manuscrits « avec mes coordonnées ». Comme il se doit. Et comme je ne « connais personne ». Version 5 ; qui fait maintenant 510 pages environ – un petit amaigrissement que je vois salutaire (j’ai finalement viré des pages jugées trop « techniques »). Donc : Fayard ; Grasset ; Seuil ; Stock ; Denoël ; Flammarion ; Albin Michel ; Gallimard ; Le Dilettante ; Le Diable ; Léo Scheer (si si) ; Lattès ; Belfond ; Hachette Littératures. A l’attention de l’éditeur, au moins d’un directeur littéraire « choisi ». Coût de l’opération : 457€. (15 manuscrits à dos collé, à 30 euros pièce + 7 euros d’envoi au Diable Vauvert, qui est loin de Paris, et à qui je ne suis pas allé déposer l’enveloppe craft moi-même – qui suis postier, parfois, mais pas encore pilote de Cessna.)
Le tout, accompagné chaque fois d’une courte « lettre d’accompagnement », la même ; elle est très simple, je vous la livre entière :

(…)

—  … autrement, quel livre auriez-vous aimé avoir publié ces années-là ?

—  HYROK, sans hésitation. Mais il nous a échappé… Il me semble bien l’avoir vu passer pourtant…

—  Ça arrive parfois oui… À part ça ? Pas d’autres petits regrets ?

—  Je ne vois pas non… Hammerstein peut-être ; Calache aussi… Les  francs-tireurs qui sont venus ensuite quoi… Des gens devenus nécessaires, par ces sombres temps… On en a quand même sorti quelques-uns heureusement !…

—  Léo Scheer un très grand merci !…  Nous allons devoir hélas rendre l’antenne…

(« Viens dans ma fiction » ; © France Culture, 2027)

Les autres, idem, même lettre : Bernard Comment un très grand merci, Marion Mazauric un très grand merci, Jean-Marc Roberts un très grand merci, etc. 14 fois.

4- Avril. Le 7, lendemain de mon dépôt, Bernard Comment, le directeur de la collection Fictions&Cie au Seuil (de l’étouffement) me téléphone en fin d’après-midi. « Oui, bonjour Monsieur Lo Russo (…) excellent courrier (…) lire au plus vite votre manuscrit (…) à très très bientôt… » Putain. Déjà. Ça mord sérieux cette lettre haha ! C’est vraiment facile de les avoir en fait ! Génial, génial…  Ah si Wrath savait ça, qu’il suffit juste d’une bonne lettre d’accompagnement…

5- Mai 2007. Aucune nouvelle de Bernard Comment. Il doit lire lentement, c’est certain ; savourer ; et se garder les meilleurs pour la fin ; pour le dessert. Patience dans l’azur.
Les autres ? Rien, trois retours avec « lettre standard de refus » (je vous en fait grâce). Bon bon bon. On va passer un bel été je sens. (En fait, Bernard Comment me répondra par une lettre manuscrite presque illisible, début juin, dans laquelle « après lecture », il « renonce à publier HYROK », malgré « un matériau formidable, qui ne manque certes pas de qualités ni d’ambition ». Les vraies raisons du refus, qu’il éludera en m’envoyant « exceptionnellement » une note de trois pages d’un de ses lecteurs vaguement courroucé par ma prose, me resteront à jamais confuses, pas nettes. Je lui récrirai une longue lettre, demandant quelque explication, mais qui restera lettre morte. Bernard Parce Que.)

6- Ete 2007. Avec les premiers coups dans l’eau, les premiers renvois de manuscrits – « récupérations » à pied plus précisément –, j’aborde, un peu déçu, la liste des « moyens et petits éditeurs », à qui je livre les manuscrits retournés (m’efforçant de restaurer ceux qui me sont rendus maculés, d’effacer les taches de café, ou de merde (de pigeon ?), avec du papier de verre 000 – les saligauds). Entre deux rayons de soleil sur mon balcon, je tombe un peu par hasard sur le blog des éditions Léo Scheer, tiens il a un blog lui… (à vocation longtemps « interne », mais qui dépasse quand même de beaucoup dans la blogosphère « externe », eh oui, sans quoi je ne serais pas tombé dessus.) Léo Scheer qui visiblement n’a pas encore lu le manuscrit que je lui ai adressé personnellement. Je prends un pseudo, tiré de mon roman : Strangedays ; et commence à arpenter les murs gris de ce blog. Ça a l’air de parler bouquins, édition… Sait-on jamais. J’en profite pour ouvrir la brosse Gherta, histoire de, ça donne une contenance, un point de chute dans l’océan.

7- Automne-hiver 2007-2008. On est à vingt-trois éditeurs. Merde. J’ai quand même fait réimprimer 6 manuscrits d’une nouvelle version qui s’appellera « HYROK, ou la vérité sur la vie de Louison Rascoli ». Premiers retours de « lettres circonstanciées ». Qui me serviront d’une part à modifier mon texte (très légèrement, car les avis sont souvent contradictoires), et surtout à composer une nouvelle lettre d’accompagnement, pour mes envois de printemps, où je ferai, cette fois, le coup de la « revue de presse » (authentique, vérifiable, et bien évidemment élaguée des « points de réserve »).

8- Novembre 2007. Stand-by. Mon manuscrit est « en balance » chez Denoël, mais ça dure, ça dure, c’est terrifiant. C’est à se demander ce qu’ils veulent. Comment ils travaillent. (Je passerai tout l’hiver à attendre. Attendre qu’ils aient fini de se gratter.)  Pendant ce temps, »Strangedays » rencontre Léo Scheer pour la première fois à la galerie éponyme. Prix Sade 2007 (Salopes, de Denic Cooper,chez P.O.L). Ah c’est vous Strangedays. Oui c’est moi. Bonjour bonjour. Contact sympathique-tac. Je ne lui parle évidemment pas de HYROK (qu’il n’a sans doute pas vu passer), mais plutôt d’un autre projet, tout à fait hors monde de l’édition. Petite diversion galactique, sans suite.

9- Décembre. Léo Scheer sort de son P4 un concept de collection en ligne intitulée M@nuscrits, en carbure de titane. Suffit juste d’uploader des m@nuscrits pour se faire lire par la « communauté » (alors naissante). Et de pas oublier le « @ » désormais. Important le « @ ». Bon. Verra bien. Prudence est mère de sûreté. Ne pas se précipiter. Attendre encore. Hiver figé. Noël. Morne et froid. Saumon celte, huîtres et déception. Bilan de l’an. C’est vraiment dur d’être édité. C’est impossible. Si tu connais pas. Un gros machin pareil surtout, avec des poils. Impossible. Refusé refusé refusé. Ça y’était presque, pourtant. Merde de merde. Reste Denoël.  C’est que j’y tiens à ce bouquin, et sacrément. Enfin, ce pas-encore-bouquin. Qui à la fin de cette année m’a coûté pas loin de six cents euros ! Ça va vite les « manuscrits papier » mon enfant. Quand je pense à ce que gagne un « jeune auteur » pour son premier livre en général… Faut avoir envie !… Bref. La question n’est pas là.

10- Printemps 2008. Bon début d’année, autres projets prometteurs. Petit éclaircissement malgré un « non » chez Denoël du bout des doigts. Je fais le pitre sur le blog de Léo Scheer. Je bataille avec les Stalker, Müller, et autre Marco. On affûte les couteaux, croise les fers, parfois furieusement, pendant que Barberine prépare tranquillos sa sortie dans M@nuscrits en première mondiale. On se demande, on spécule, on se gratouille, on jase, on fait mine. C’est nouveau. Je me surprends à me dire et si. Et si Léo Scheer. Ce qui me refroidit un peu, c’est que je reçois à ce moment-là une lettre de refus-type des éditions… Léo Scheer ! Moi qui pensais – qui espérais – que depuis le temps ils avaient paumé mon manuscrit ! (sans @). Tu parles. Retour, à la queue leuleu, avec les autres, et sans un mot. Ça va pas être simple du coup.
En attendant, comme faut pas mollir, je prépare la suite, satanés nouveaux envois : sept HYROK version 8 toute fraîche, que j’enveloppe dans du papier noir avant dépôt. Noir comme la guerre. Plon ; Cherche-Midi ; Balland ; Le Passage ; Verticales ; Calmann ; Anne Carrière (bon là ce serait erratique, c’est vrai). On dirait des munitions, ces paquets ; des bombes que je vais aller lâcher à Saint Germain. Là ça va péter c’est sûr. D’autant que cette fois je joins la lettre « revue de presse », fruit de mes envois précédents, le sésame assuré, le pied de biche imparable. Pensais-je.

« Le récit de la destinée tragique de ce photographe possède un véritable souffle (…) Un réel talent d’écriture dont l’harmonie principale réside en un subtil mélange de force et de fluidité. » (P-G de Roux, Dir. litt, Le Rocher)

« Il y a là un matériau formidable, qui ne manque certes pas de qualités ni d’ambition… » (Bernard Comment, Dir. litt, Seuil)

« Ecriture fluide et inventive, au service d’un vrai sujet… »  (Claire Delannoy , éditrice, Albin Michel)

« On peut se prendre au jeu et se dire que le texte aurait une valeur sociologique et anthropologique pour les générations futures (…) au fond, le dispositif narratif est assez malin. Et puis le dénouement est une réussite. » (Comité de lecture ; Seuil)

« Originalité des jeux formels (enregistrements, blog, sms…), mais des passages un peu graveleux… » (Comité de lecture, Flammarion)

« Il y a plein de choses bien » (Guillaume Allary – par e-mail ; Hachette littérature)

« C’est très intéressant… (…) A mon avis, il ne faut surtout pas enlever les passages un peu limites… ». (Audrey Diwan – au téléphone ; conseillère éditoriale, Denoël)

Pas mal hein ? Un éditeur qui reçoit ça avec le manuscrit, merde, il s’intéresse, non ? Il jette un coup d’oeil. Eh ben non. Rien. Rien de positif se passe. Juste Verticales et Plon (une catastrophe, Plon, hallucinante, que j’ai déjà relatée ici.) Pour Verticales, on m’adresse une réponse en juillet, où il est dit dommage que le style de la première partie ne se poursuive pas dans la suite du roman ; que ça « tombe dans l’oralité ». Z’ont rien compris, eux, rien. Pas bien lu. Pas lu, plutôt. Pas le temps. Faut les comprendre. Merci quand même Verticales pour vos mots horizontaux. Les autres, rien, on est en juillet, pas de nouvelles. Et là on est à pas loin de huit cents euros ! pas loin de trente éditeurs contactés ! Ça commence à faire. Energie, argent, mauvais sang. Quelle merde. Envie de poser un pain de plastic dans ma boîte aux lettres. Qu’il n’y ait plus de boîte aux lettres. Plus de refus. Houellebecq était dans ces eaux-là pour son premier, avant Nadeau. Trente éditeurs. Ça console, mais bon.

Bientôt deux ans que je cherche un éditeur. Un mec qui comprenne.

Léo Scheer c’est cuit, ok.  Mais imaginons : si, soudain, après la « rétro-publication » (son dada de rendre concrets certains textes venus du net – six à ce jour),  il accrochait au concept de rétro… résurrection ?! : le manuscrit noyé, trucidé par la voie dite « normale », mais sauvé des eaux par M@nuscrits ! Ça serait-t-y pas une belle histoire, hein Balthazar ?
Reste qu’à essayer, j’ai plus rien à perdre.

11- Eté 2008. J’envoie une nouvelle, une historiette un peu marrante, en format pdf dans M@nuscrits. En mon vrai nom. Pour tester le truc. Tâter le terrain. L’Ivre de Zob. Et ça se passe bien. J’ai rapidement des commentaires positifs, d’internautes de passage, de blogeurs, d’habitués, d’autres « m@nuscrivants ». Je me dis tiens, il y a peut-être quelque chose par-là. Une petite fissure où je pourrais m’enfiler. En plus, ce comité de lecture est autrement plus disponible et accessible que les « lecteurs des maisons d’édition », cette trop sombre brigade.

La suite est connue de certains. Rapidement : Léo Scheer, en vacances en Corse « mais avec une connexion » me propose de lui envoyer une version pdf de HYROK (version 9), dont je lui ai fait lire le prologue. Depuis le temps, grâce au blog, à mes interventions fréquentes, il me connaît un peu. Connaît aussi mes déboires avec ce sacré gros texte, ce rorqual malheureux. Il décide alors, depuis sa crique bleue, de le mettre en ligne en entier, après l’avoir copieusement tronçonné en dix tranches. (Ce qui m’a fait un choc terrible, quand j’ai vu ça sans avertissement.) Mais je lui fais confiance. Dés septembre, débutent les lectures de commentateurs courageux – près de cinq cents pages à lire en ligne, faut s’y coller. Dahlia, blogueuse influente,  étonnante d’assiduité, fera le premier pas décisif. Trouve le livre « dément ». Ouvrira la porte à d’autres, avec beaucoup de bienveillance. HYROK, tranquillement, s’enfonce dans l’automne, puis dans l’hiver, recueille pas mal de commentaires, d’avis favorables de lecteurs divers. J’en suis heureux mais abasourdi, quoique je sache, au fond de moi, que c’est un bon texte.

12 – Printemps 2009. Sélectionné dans la Revue Littéraire N°38 des ELS pour un extrait (le prologue), j’apprends par Florent Georgesco, éditeur maison, que HYROK est un roman « à paraître ». Quand ? peu importe. On verra. Je suis fou de joie. A paraître ! Miraculé.
Un peu plus tard, une date tombe. Ressuscité.
Mi-juin, j’envoie à Florent une version 10, la toute dernière de mon crû, pour corrections, dans une vraie allégresse.

13 – Fin août. Retard monstre. No news. Mais j’attends en sifflotant. Pas encore signé. Parfois j’imagine le pire. Non, ils n’en seraient pas capables. Quand même pas. Non, je déconne. Tout va bien. Faut juste attendre encore. Profiter pour changer un mot çà et là. Toucher une phrase. Passe-moi la lime, Brigitte.
Florent est sur trois feux simultanés. Il n’aura pas le temps de s’asseoir à côté de moi. Navré – il a aimé et défendu HYROK –, il passe la main. Ah zut.
C’est finalement l’excellente Julia Curiel, « assistante » éditoriale qui s’y collera – éditrice, allez : en fait, tout le monde fait tout, là-bas, ou presque.
Le temps presse. Heureusement, peu de corrections. Les règles typos, quelques virgules, un alinéa à faire, une phrase un peu bancale à régler. Du beurre, mais faut « scanner » plus de 500 pages, l’œil bien ouvert pour traquer les coquilles, faire la maquette, la quatrième de couv’, ça prend un temps considérable. Dizaine de jours de travail.

Là, ça sort tout chaud de l’imprimerie. Séquence émotion.

Le bébé fait un peu moins d’un kilo. C’est pas très gros pour un bébé, mais je peux vous dire qu’il est beau. Bientôt dans vos bras, si vous le voulez bien.

Semaine prochaine, je vois Anne Procureur, attachée de presse fort sympathique-tac. Tic-tac…

Le Temps du Chat

22 octobre 2008

Bien complexe, ce monde de l’édition. C’est là son moindre défaut. Voyons par exemple : La question de « l’engagement de publication », soulevée régulièrement par quelque éconduit, et qui semble être, en ces sombres temps, LA question cruciale de la relation auteur-éditeur. Si je m’en réfère à ma très courte expérience en ce domaine ô combien épineux, elle m’a tout de même valu, cette question, quelques bonnes sueurs froides et autres nuits sans sommeil.

Mécanisme possible, assez courant : Une fois « accroché » par votre texte (heureusement, ça arrive), un éditeur pourra vous suggérer des coupes, des « petits changements », oh pas grand chose, des étirements par-ici, des émondages par-là, on vous poussera à « resserrer un poil », ou au contraire à insister « un peu plus là-dessus », bref : on vous demandera de RETRAVAILLER. Encore et encore. Dans la rigueur sèche des matins nets. Pendant des semaines. Vous vous-y collerez de bonne grâce au début, naïf que vous êtes : plein d’espoir vous aviez dit OK ; pour le panache littéraire, sans filet, sans engagement de l’éditeur. Sans engagement ? Eh non ! ouh là ça non jamais ! surtout pas ! Mon pauvre ami ! Quelle idée. Signature ? qu’est-ce ce mot-là ? Quelle signature mon bon monsieur ? Où avez-vous entendu parler de ça ? (…) Bref : tout repartira après « corrections » (pour autant que l’auteur goûte ce manège infâme), en « comité de lecture » une fois le texte retravaillé… (avec possiblement — ça m’est arrivé une fois —, des « lecteurs » nouveaux ! des autres ! différents ! qui nous font regretter la version antérieure !) Dame que c’est con hein ! Rien n’est gagné ! du tout du tout ! Kafka n’est pas loin, qui danse sur la tête lui aussi, les gencives en sang. Parfois ça frise l’inadmissible, la lâcheté rance. (Et l’abus de pouvoir, tant qu’on y est.) Quand on vous renvoie pas au fameux et obscur « service des manuscrits » !, alors que vous aviez, visiblement, un peu « grimpé dans les étages » ! 1er, second, amorce du troisième, et hop ! paf ! rez-de chaussée à nouveau ! Ah les fumiers ! (Autant te dire, cher auteur aux abois : accroche-toi bien mon cochon ! Accroche-toi rudement à la rampe !)

Les cas d’espèce observés nous font comprendre qu’en définitive trois situations distinctes peuvent se présenter (le principe est analogue — j’ai ouï dire que c’était même pire — dans le domaine du disque) :

a) L’éditeur/producteur signe l’auteur d’entrée. Direct ! (avec ou sans à-valoir, mais plutôt avec). Le gusse un peu « bankable » quand même. Un peu connu. Ou qu’il serait bon d’avoir dans son écurie. Alors qu’il n’a pissé qu’un vague « premier jet » jaunâtre, situé a des années lumière de l’objet final (voire n’a rien écrit ni composé encore, rien, pas une ligne). Stratégie dont usent nombre d’éditeurs dans le simple but de se mettre l’auteur sous le coude. Bien au chaud. Au cas que, coco, hé ! Donc on signe, là-en bas, on trinque, c’est la fête, ah quelle joie, on bossera plus tard. Trankilos, détendus. (Avec parfois — et c’est la que ça devient comique — des signatures effectives mais qui aboutissent à la sortie d’aucun livre : Aucun livre ! C’était juste pour bloquer ton manuscrit Henri !) Il y a en ce moment-même dans Paris plusieurs manuscrits bloqués, verrouillés, cryongénisés, par la sacro-sainte signature ! Sortira ? Sortira pas ? On n’en sait foutre rien Lucien. Just wait !

b) Fort de « conseils éditoriaux » parfois totalement contradictoires, l’auteur est prié, globalement, de retravailler son manuscrit — sans aucun engagement (comme on l’a vu plus haut) : Il reste ainsi seul dans le noir. Ça ne donne rien. Il finit par abandonner à force d’allers-retours d’éditeur en éditeur, aussi aléatoires qu’improductifs.

c) La situation dite « normale » — à dominante féérique tout de même, car dans le cas d’un manuscrit « envoyé par la Poste » (ou assimilé) ça devient de plus en plus rare : C’est celle où ENFIN !, dans un climat de confiance fertile, auteur et éditeur, qui se sont accordé contractuellement sur la base d’un travail « déjà bien avancé » et jugé suffisamment pertinent pour la « collection », oeuvrent à l’aboutissement de l’objet, dans la bonne humeur, la complicité (et parfois quand même — faut pas rêver —, des grincement de dents et des petits cris étouffés).

Il y aurait bien encore une quatrième catégorie, la « d) », accord-publication spontané, magique, qu’on pourrait intituler l’Accident de Mirza, (dans son acception latine accidere : « évènement fortuit ») : Celle qui échappe à toute règle, toute logique, toute chapelle ; qui survient comme ça, là, de rien, ou de tout, oui ou non, oui et non, nourrie du seul principe d’incertitude cher à Schrödinger. Qui surgit dans un non-temps inattendu, miraculeux et inespéré, presque impossible : le Temps du Chat.

« Votre roman nous intéresse. »

19 juillet 2008

(Les noms des protagonistes, à part le mien, ont été modifiés. Mais c’est vraiment parce que je suis gentil. Jusqu’à quand le serai-je, gentil ?…)

– Editions Phion bonjour.
– Bonjour madame, Nicolaï Lo Russo à l’appareil…
– Oui…
– J’aimerais parler à… euh… quelqu’un du Comité de lecture…
– C’est à dire ? C’est à quel sujet ?
– A propos d’un courrier que j’ai reçu ce matin, au sujet d’un manuscrit que j’avais envoyé à Brumelle Heyer… or je ne parviens pas à déchiffrer la signature au bas cette lettre, sous « pour le Comité de lecture »…
– C’est une lettre de refus?
– Ben oui. Mais très étrange. Qui ne me semble pas destinée.
– Un instant.
(…)
– Alloooo…
– Oui bonjour, je suis Nicolaï Lo Russo… euh… vous êtes Brumelle Heyer?
– Non, une de ses assistantes. Madame Heyer n’est pas disponible.
– Ah d’accord… Bon, écoutez je… vous pourrez peut-être me répondre ?
– Allez-y.
– Je viens de recevoir un courrier de la part de Phion ce matin et j’ai l’impression qu’il doit y avoir une erreur. Concernant un manuscrit que j’ai envoyé il y a un peu plus d’un mois…
– Ah bon. Et c’est quoi comme manuscrit ?
HYROK. C’est le titre.
– Attendez je vais voir. Nicolas comment vous dites?
– Nicolaï Lo Russo
– Ok, deux petites secondes.
(…)
– Voilà… oui… j’ai cette lettre sous les yeux… C’est quoi le problème ?
– Ben vous parlez de deux personnages, Pierre et Lucie, qui n’existent pas du tout dans mon roman…
– Ah bon ?
– Oui, et ensuite vous descendez tout en flamme, on dirait qu’il n’y a rien qui va… ni les dialogues, ni la construction, ni l’intrigue, que vous trouvez plate, enfin rien quoi… Je crois que vous avez dû vous tromper quelque part, croiser des rapports de lecture j’en sais rien… C’est pas possible que ce soit mon manuscrit… pourtant le cadre est bien le même, sur l’Art, la mode, la photographie, tout ça…
– Euh… écoutez monsieur… Je… je vais regarder ça de près, hein… je vous rappelle dans un moment… c’est bizarre en effet.
– Très bizarre oui… J’attends donc votre appel.

(Deux heures plus tard, sonnerie, je décroche…)

– Monsieur Le Russo ?
– Oui.
– Adeline Wermus, de chez Phion… on s’est eus tout à l’heure au téléphone…
– Ah oui. Alors ?
– Nous somme désolés. Il y a eu une petite bourde dans ce courrier…
– Ah bon ! Vous me rassurez. Ça me paraissait incroyable…
– Oui oui… Je… enfin nous ne savons pas trop comment ça a pu se produire… Un copier-coller qui a glissé, j’en sais rien, je… Enfin ça ne concerne pas du tout votre manuscrit. Je… ne sais pas quoi vous dire, sinon que nous sommes vraiment désolés.
– Je ne vous cache pas qu’il y a de quoi.
– Je sais. D’autant plus que votre roman nous intéresse, en fait…
– Pardon ?
– Votre roman nous intéresse, oui. J’ai sous les yeux des avis de lecture positifs, c’est… Non, je suis vraiment désolée pour ce malentendu…
– Ah ben dites donc…. Ça vous intéresse alors maintenant… On passe de la douche froide au bain de vapeur, ha ha ha !… Et alors qu’est ce qu’on fait dans ces cas-là ?
– Je vous envoie dès demain matin un nouveau courrier. Sans faute cette fois. Promis.
– Ah bon ? On ne prend pas rendez-vous en général ?
– Non non, je vais d’abord vous renvoyer le bon courrier. C’est moi qui ai fait la faute en plus. Mais j’espère que vous nous faites toujours confiance…
– Ben .. euh.. Oui… Oui, oui. Enfin j’attends de voir, quoi… J’en ai tellement vu vous savez… Donc là vous me renvoyez un courrier et on se recontacte ? C’est ça ?
– Oui c’est ça.

(Trois jours plus tard, second courrier de Phion dans ma boîte à lettres. Navré, bienveillant, mais peu clair, ambigu. Je rappelle.)

(…)
– Bonjour, vous êtes Adeline ?
– Non elle vient de partir en vacances. Qui la demande ?
– Nicolaï Lo Russo, je…
– Ah oui. C’est pour votre manuscrit ?
– Oui. Vous êtes au courant ? Elle m’a réécrit un courrier…
– Oui oui, je sais, je suis Bénédicte, sa collègue.
– Ah d’accord. Ben écoutez… je suis ravi que mon roman vous ait plu, comme vous l’écrivez dans cette nouvelle lettre… et que vous ayiez rapidement corrigé le tir… Mais je suis un peu embêté parce que vous me dites que mon roman, malgré les qualités que vous lui trouvez, sa modernité formelle, « ne peut être publié en l’état ».
– Ben oui, et ?
– Et il faudrait qu’on se voie non ? Pour qu’on puisse faire le travail éditorial requis ! puisque vous me dites qu’il faut, selon vous, « alléger le début, élaguer », sans plus de précision…
– Oui mais c’est à vous de le faire.
– Comment ça c’est à moi ? A quoi ça sert un éditeur alors si c’est pour renvoyer les auteurs à leur établi sans les épauler ? Je suis au bout de mon objectivité moi, c’est déjà la huitième version ! Comment je continue sans éditeur ? J’élague quoi dans le début ? Où ? Une page sur deux ? Sur trois ? C’est très relatif ça… Y a même un de vos confrères qui le trouve très bien comme ça le début ! Faudrait qu’on en discute, non ?! Qu’on puisse se rencontrer !…
– Je suis désolée nous n’avons pas parlé d’engagement de publication. On ne peut donc pas se rencontrer pour le moment.
– Ah voilà. Je l’attendais un peu celle-là… Je dois être abonné au non-engagement, moi… C’est dingue, pourtant votre collègue m’a dit l’autre jour, après s’être platement excusée : « votre roman nous intéresse, en fait »… C’est pas rien !… NOUS INTÉRESSE !
– Je ne peux rien vous dire de plus. On ne vous a pas écrit que ça nous intéressait.
– Non, mais vous l’avez dit ! Et ce que avez écrit, c’est que ça vous a PLU, vous voulez quoi alors ?!
– …
– Et vous faites quoi au fait, vous ? C’est quoi votre fonction exacte chez Phion ? Je pourrais pas parler à Brumelle Heyer ? C’est à elle que j’ai adressé mon roman après tout !…
– Ça ne sert à rien, monsieur Rosso, je suis désolée… Votre roman a été lu, il a sûrement des vraies qualités, mais sans doute pas assez à notre avis pour que nous nous engagions. Voilà. Vous avez reçu un courrier clair je crois, je n’ai rien à vous dire de plus.
– Un courrier clair ? Ah vous trouvez ? Y a rien de plus obscur vous voulez dire oui ! A part vos aimables remarques… Vous êtes éditrice, vous ?
– Non, assistante.
– Vous savez ce que produit la phrase « votre roman nous intéresse, en fait » dans la tête d’un auteur qui cherche un éditeur ? Quand il entend ça d’une demoiselle qui vient de s’excuser d’une méprise ? Hein ? Vous imaginez le poids des mots ? Sur ses nerfs ? son moral ? J’ai pas l’impression… Et moi qui pensais avoir trouvé preneur… Quel con… Mais quel con !
– Euh… Ben… Rien ne vous empêche de nous renvoyer votre manuscrit après l’avoir retravaillé vous savez…
– Ben voyons. Et le lecteur qui va le relire, un autre probablement, va trouver que la première partie est un peu light, cette fois-ci ? … Que ça manque d’épaisseur ? Ha ha ha ! Pfff… C’est vraiment faire danser les gens sur la tête… Vous ne vous rendez compte de rien mademoiselle… C’est terrifiant…
– Écoutez, je vais pas pouvoir rester plus longtemps j’ai beaucoup à faire… Je suis dés…
– En plus je n’ai même pas d’interlocuteur précis chez vous… Je le renvoie à qui mon roman en admettant que je le renvoie ?
– Au service des manuscrits.
– Ah d’accord, je vois. Ok. Tres bien. En tout cas bravo pour votre compétence et votre professionnalisme, hein. C’est prodigieux. Et bonnes vacances à vous.
– A vous aussi Monsieur Laruzzo.


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