Little Babe

by

nicobabe

New York, 1er avril 2037.

Etude (suite) de l’élément n°449 « Ponthier-Bonnard », cas-type dont je rapporte ici quelques éléments de l’affaire, parus sur un « blog » collectif en juin 2009, quelques mois après le sinistre.

«Le designer Lucas Ponthier-Bonnard a tué sa femme Brigitte (née Ducret) parce qu’elle avait les seins qui tombaient. « Je n’en pouvais plus », a-t-il déclaré à la presse. Quand il regardait le buste de sa jeune épouse – elle avait 38 ans –, il ne supportait plus cette « fatigue tissulaire » (qu’on nomme en clinique « ptose mammaire » – un très joli nom pourtant). En fait c’est très simple : ce tableau « ne le faisait plus bander ». Plus comme avant. L’afflux sanguin était plus contrarié, moins immédiat. Et surtout il « bloquait là-dessus », comme l’a affirmé Bruno G., un ami confident interrogé par nos soins. Au vrai, la poitrine tombante de sa compagne n’était pas seule responsable de cette regrettable décision, soyons clair : il y avait aussi les chevilles, qui n’étaient pas à son goût, les jambes, un peu courtes, la cambrure, le délié de l’ensemble. L’allure générale, quoi ; en somme : l’avachissement progressif d’une femme jugée pourtant « sexy ». Outre qu’on aurait pu parler de sa bouche, à cette malheureuse Brigitte. Sa « fameuse bouche » oui (comme l’indiquent quelques notes prises, paraît-il, dans un carnet), qui avait fini par « sécher, perdre en pulpe, se garnir de petites ridules périphériques, globalement disgracieuses, désolantes ». Tous ces détails – au début ce n’étaient que de menus détails – que le temps avait fini par accumuler, par cruauté sans doute. On ne pouvait nier l’évidence : Brigitte était en effet moins bien qu’avant. Au cours de leur union, entre éclats de rires complices ou coïts passionnés, les questions récurrentes du « jeunisme ambiant », des terribles « ravages du temps » et de « la tyrannie de l’image dans les média » avaient été largement débattues par Lucas Ponthier-Bonnard et sa femme, confie un proche. Il avait à ce titre été supputé que quelques séances de fitness hebdomadaires auraient pu avoir raison du « désastre », retenir la jeunesse de madame avec bénéfice. En vain. On ne se soustrait que difficilement au temps et aux lois de la gravitation. Et puis le leg-lifting, bon, ça va cinq minutes, c’est sûr, surtout quand on a deux enfants en bas âge. Dernier recours, les « crèmes », si onéreuses, les interventions en chirurgie esthétique, souvent lourdes, dont les magazines féminins ne manquent jamais de marteler les mérites, avaient fait au sein du couple l’objet d’attention, d’analyses comparatives, disons-le tout net : d’une vraie réflexion nourrie d’espoir. Brigitte Ponthier-Bonnard était prête à lutter pour « rester dans la place ». Quant à son mari Lucas, face à tant d’adversité, de frustrations rentrées, par ailleurs incapable d’infidélité physique réelle, incapable surtout de dissocier « amour » et « choses du sexe », il a préféré, plutôt que se séparer d’elle, lui ôter définitivement le souffle. Car il « l’aimait », a-t-il insisté.»

***

Or, ce qu’on a moins évoqué dans cette triste affaire, c’est l’assiduité avec laquelle Lucas Pontier-Bonnard se connectait à Internet pour s’adonner à son passe-temps favori : la masturbation ; libératrice vénérée de « toutes ces tensions dues au stress » (locution fourre-tout qui fut maintes fois reprise par ses semblables). Une simple habitude, au début, qui se transforma peu à peu – et c’est un point crucial – en véritable addiction. Dont il ne se rendait pas vraiment compte. Addiction d’autant plus significative que le Programme LB. n’en était qu’au début de sa « longue carrière ».

Né d’un accord entre multinationales de la communication, avec la bénédiction opaque des Etats et de leurs très redoutées « mind control cells », le Programme LB, « régulateur de naissances » et « anesthésiant cortical » (ainsi que le mentionne le dossier), tendait d’une part à favoriser la production et la diffusion massive de matériel pornographique sur le web – d’en faciliter subtilement l’accès malgré une prétendue « politique sécuritaire et répressive » (une merveille d’hypocrisie !), et d’autre part à surveiller le maintien d’un haut niveau de perfection plastique dans les images – canoniques – du sexe dit « faible » surtout, à travers la presse et les autres média.
Par quels mécanismes cet attirail sophistiqué, soutenu par de puissants logiciels de retouche numérique, parvint-il a infléchir durablement vers l’horizontale – et contre toute attente – les courbes de natalité ? Le principe clé est finalement assez simple : Il fallait travailler sur la confiance et sur la disponibilité des items. River les hommes à leur écran-jeu, les soumettre à des torrents de dopamine en leur ouvrant les « Portes de la Perfection Fantasmatique ». Modifier par ce biais leur rapport à la normalité (et à la réalité) en positionnant très haut les valeurs-étalon de l’image de la femme en tant qu’objet – de désir, bien entendu. Faire, d’un autre côté, insinuer le gel corrosif du doute et organiser rapidement l’insatisfaction au coeur même des couples fraîchement formés – donc les FRAGILISER d’entrée de jeu. (Des crédits furent à ce titre abondamment « débloqués » pour les entrepreneurs désireux de monter ce qu’on appela des « sites de rencontres », conçus pour multiplier les contacts selon des schémas cahotiques.)
Tout fut soigneusement orchestré pour entériner les « années plastique », puis le terrible « black hole » de 2018, dont on se relève à peine près de vingt ans plus tard.
C’est précisément de cette dislocation du lien, de son corollaire au niveau de la (non)procréation naturelle, qu’il va s’agir dans ce qui va nous occuper ici quelques semaines, à savoir l’étude approfondie de ce que certains observateurs désignèrent comme la bombe atomique la plus meurtrière jamais conçue : Little Babe.

Hope Rascoli-Vance

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20 Réponses to “Little Babe”

  1. Wolf Says:

    Elle m’a tout l’air d’être plastifiée de partout, mais c’est vrai que… c chaud. Parfois je me demande, en surfant à droite à gauche, (comme pas mal de mec c’est sur) qui est derriere tout çà. Et si vous aviez raison dans votre délire?… beau ptit lot la miss en tt cas, même si je doute qu’elle soit vraie

  2. Frozen Piglet Says:

    Très joli texte
    Sur une idée surprenante, mais pourquoi pas …
    C’est bien écrit

    FP

  3. Manuel Montero Says:

    « Très joli texte » LES DANGERS DE LA MASTURBATION L’on croyait depuis votre truc à décaper que vous étiez genre acide vitaliste, mais on vous trouve à la fin dépressif moraliste. Veuillez excuser ma franchise, mais je viens de me faire une branlette et je l’ai trouvé bon.

  4. Manuel Montero Says:

    Ou peut-être hypocondriaque. Un hypocondriaque extroverti qui pense que les autres vont prendre un rhume. Mais le foulard au cou, gardez le pour vous.

  5. Manuel Montero Says:

    Ha, ha, ha, je suis bon dans le foutage de gueule ?

  6. Nicolaï Lo Russo Says:

    Manuel, j’ai habité autrefois juste au bord du périphérique parisien. J’avais coutume de me masturber quatre à cinq fois par jour ; pour un artiste comme moi c’était sensationnel. Des litres et des litres de sperme, que je collectionnais dans de petites bouteilles, avec des étiquettes bleues (mars, avril, mai, etc.) Cependant, petit à petit, il me semblait qu’il y avait de moins en moins de voitures qui passaient sous ma fenêtre, c’était étrange… Un jour, j’ai cru qu’il n’y en avait plus du tout. Et pourtant J’EN VOYAIS PLEIN !!! J’ai donc cessé de me masturber le 27 juin 1995. Depuis, j’ai un sonotone et surtout, plein de filles qui passent à la maison. C’est mieux, je vous assure :)

  7. Manuel Says:

    Donc, vous tenez bien, pas de fin tragique, c’est ça que je voulais entendre. Je ne vous chanterais Brassens, en tout cas.

  8. BranDubh Says:

    Totalement ahurissant et malheureusement crédible !

  9. Pierre Says:

    Crédible et flipant en effet. d’un côté on a la parano sécuritaire made in Sarkozie, et de l’autre on est à 3 clics de sites de pédo russe, de meufs en pagaille où on se demande ce qu’elles font à part montrer leur c… et se faire b… Celle là est canon c’est clair c’est qui? ha ha

  10. Sophie K. Says:

    Voyons voir… n’y avait-il pas dans les années 1980 un film de SF dans lequel un gars tombait amoureux de la femme parfaite, un robot nommé chépukoi21 qui faisait bzzit bzzit en même temps de « bisou-bisou » ?
    :-)

    Voyons voir encore… On n’aura pas la même chose, nous les filles, en 2018, un gars virtuel parfait qui sourit tout le temps, un « Big Bomb » ?

    Et si « Big Bomb » finissait par se tailler avec « Little Babe » en nous laissant à nos avachissements réels respectifs (non, je ne décrirai pas les vôtres, messieurs, hahahaha !) ?
    Ah làlà. Le futur n’est jamais celui qu’on croit deviner.

    (Chouette balade en tout cas, « NicoBabe ».)

  11. Nicolaï Lo Russo Says:

    @Sophie. Tu parles peut-être de « Simone« , le film de Niccol… Y a un peu de ça mais pas tout à fait quand même. Quant au mec version cyber le problème est symétrique (quoi que quantitativement c’est pas encore ça sur le web) Mais sur le principe je « plussoie » comme on dit. Y a pas de raison ! En plus t’as vu c’est les cinquante ans de Barbie cette année, ils sont a donf’, on est dans la lobotomie généralisée, sponsorisée par Lagerfeld. Le féminisme il en reste rien, c’est foutu, faudra trouver autre chose. Même Ken a quasi disparu, c’est dire. Pour big Bomb, va falloir attendre un peu je crois…

    @Pierre et BranDubh. C’est un problème assez vaste qui demanderait développement. Mais j’y reviendrai. En tout cas c’est assez préoccupant, on est en droit de se poser des questions, je crois. Pour la fille sur la photo elle est basée sur une image piquée sur le web par mes soins, mais suffisamment retouchée (par mes soins aussi) pour qu’elle soit méconnaissable. En un mot, même si elle est crédible elle n’existe pas. Mais il y en a des tonnes d’aussi « canon » qui existent, elles. Et elles font de ces trucs…

  12. Sophie K. Says:

    Non, j’ai retrouvé : c’était « Cherry 2000 », une série B de 87 (pas un chef d’oeuvre, mais un bon petit film de SF).

    Pour Barbie, oui, il paraît ; je n’y ai jamais vraiment joué petite, je trouvais moche le nom « Barbie », et moches ses accessoires. Mais pour Big Bomb, je plaisantais : je ne crois pas que ça ferait beaucoup avancer les choses d’avoir des amours virtuelles avec une photo truquée, les filles sont moins… comment dire… on va dire plus sentimentales, finalement, ou plus sensibles au charme, et elles se foutent un peu plus des apparences. A priori.

    Sinon, j’ai l’impression que les lobotomisés actuels sont volontaires (pour l’être), au départ, non ?

    (En tout cas, tu « photoshopes » bien, et ça prouve un truc : tout « canon » cache un « artificier », hahahahaha !)

  13. Sophie K. Says:

    (La langue française est formidable.)

  14. Christophe Borhen Says:

    @ Nicolaï & Sophie K. : ni  » Simone « , ni  » Cherry 2000 « . C’était  » Onan le Barbare « .

  15. Nicolaï Lo Russo Says:

    @Sophie. Tu fais bien de préciser « à priori ». Y a des nanas, maintenant, et même de fort jolies, souvent fort jeunes, qui ont des couilles plus grosses que les miennes (trois fois plus grosses environ, ça commence à faire un beau melon). Il paraît que c’est « générationnel ». Elles font des mecs ce que toi tu fais avec tes crayons de couleur. Mais les dessins sont souvent moins beaux hein.

    @Christophe. Ha ha. Ah oui c’est vrai, avec Ron Jeremy dans le rôle de Mgr. Priape. Film cul(te).

  16. Leo Nemo Says:

    Des nouvelles de 2028 ?

  17. Sophie K. Says:

    Ah mais moi je RESPECTE mes crayons de couleurs. Toujours.

    Oui, je ne sais pas pour les d’jeuns nanas. Chus juste contente de ne pas avoir de mômes, finalement. Pas marrant pour eux, ce monde.

  18. Loïs de Murphy Says:

    Sinon ce crétin peut s’acheter une poupée gonflable.

  19. Nicolaï Lo Russo Says:

    @Loïs. Tout à fait, il peut, ce crétin de Ponthier-Bonnard. Et je reconnais que son attitude sans concession puisse avoir quelque chose de… d’irritant.

    @Leo Nemo. Non, ils ne téléphonent que mardi.

    @Sophie. C’est vrai qu’il faut un courage… On hésite, c’est certain.

  20. Loésie Says:

    Bon, honnêtement, si j’étais un mec, je crois que j’hésiterais longtemps entre elle et Terminator *

    Nan, sérieux, 101 % plastique, même pas une once de caoutchouc !

    * Voir « rien de grave »

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