Une dent contre la pub?

1 avril 2013 by

pepsismile

©Susan Tempa

Pour le moment on connaissait les rappeurs et leurs dents baguées de métal précieux, leur clapoir embagousé jusqu’aux molaires. Yo, man. Eh bien le sourire Fort Knox c’est du passé. Le bling-bling va se voir bousculer par une toute nouvelle tendance, plus soft : le sourire publicitaire, au sens le plus trivial, le plus désespérément basique du terme. Ça devait arriver, je me disais bien. Et, forcément, arriver des Etats-Unis (what else?!). Une start-up californienne, Smile&Ads, vend depuis quelques semaines des espaces pub sur une des rares surfaces immaculées encore disponibles : la dentition des people ! – blanchie et nickel, le plus souvent.

Bill Tempa Jr., dentiste esthétique à San Diego, a mis au point une technique de gravure de logo émaillé sur les incisives supérieures. (Une autre option, non permanente, est basée sur un collage à chaud, quasi indolore, pour environ trois semaines – largement le temps d’un festival de Cannes, par exemple.) Smile&Ads intervient dans l’organisation, la mise en relation des annonceurs avec les stars ou leur agent. D’ici l’été et même avant, on devrait ainsi voir fleurir des sourires Coca-Cola, Mac, AT&T, etc. dans les pages de Gala, Voici et compagnie. Excitante perspective. Notons tout de même qu’à une certaine distance, cette mini-pub est peu visible ; on pourrait penser plutôt à un morceau de salade coincé dans les dents. Mais pour les portraits et les couv’, l’effet est saisissant. Cheeeese please ! Eh hop ! Clic-clac ! Sourire Pepsi ! Pour ma part je trouve ça un peu too much, limite mauvais goût ; à quoi bon se blanchir les dents si c’est pour les transformer en panneaux publicitaires? Certes, le contraste est plus marqué et le logo bien visible en cas de tête à tête ou de portrait rapproché. Et le regard du « spectateur » accroche immédiatement sur « l’inquiétante étrangeté » dentaire (étrange pendant combien de temps ? là est la question ; on s’habitue tellement vite à tout…) Quoi qu’il en soit, l’information – merci à Katy Schlum agency – demeure discrète sur le gain financier de la star qui, rappelons-le, se voit le plus souvent offrir des accessoires de marque, des vêtements, contre une simple apparition médiatique. L’avantage avec cette nouvelle technique étant de ne pas se cantonner bêtement à la mode et au luxe. Ford, Dell, Exxon, Bank of America, ont déjà été aperçus sur quelques dentitions connues (Sylvester Stallone aurait déjà sa dent FedEx ; Angelina Jolie, sa dent Vuitton…). J’ignore si de ce côté-ci de l’Atlantique Renault ou la SNCF (ou Chanel, why not) ont pris contact avec Vanessa Paradis, dont les ravissantes « dents du bonheur » devraient faire un carton en la matière. Avec les présentateurs de télé (chaînes privées), les acteurs, dans une moindre mesure les sportifs, sont évidemment aux premières lignes de cette tendance. Depardieu aurait, lui, été approché par une célèbre marque de charcuterie ainsi que par un brasseur belge. La lutte pour la dent, entre annonceurs, promet d’être âpre et tendue. Gageons que d’ici bientôt certaines célébrités choisiront de se garnir toute la devanture, pour mettre un peu de beurre dans les rutabagas. C’est la crise pour tout le monde, hé ouais.

Ecrire (1)

4 mars 2013 by

A.Martin

                                                                                                          (Oeuvre d’Alicia Martin)

QUELQUES CONSTATS A L’ATTENTION DE CELUI, OU CELLE, QUI VOUDRAIT SE LANCER, AUJOURD’HUI, DANS L’ECRITURE D’UN OUVRAGE DE « LITTERATURE FRANÇAISE ».

D’abord, un paradoxe, accablant : Frénésie d’écriture versus Temps de lecture réduit. Tout le monde écrit, se rêve en « écrivain » : du retraité qui veut raconter sa vie, à l’étudiant(e) qui veut partager ses fantasmes – ou ses peines (souvent les deux, pour le pire).

L’augmentation des titres suit une courbe exponentielle (d’un facteur x4 depuis 1975 ; « chiffres clés du livre », INSEE 2008). Alors que le temps de lecture, autrefois voué qu’aux livres, aux lettres et aux journaux, s’est progressivement vu éclaté parmi de multiples nouveaux supports  : blogs, SMS, Twitt, tchats, forums, news en ligne, etc.) ; condamnant bien souvent la « lecture profonde » au profit de la « lecture superficielle » et du zapping hystérique.

Dans les années 70-80, pour un auteur, vendre 5000 livres était considéré comme un cuisant échec éditorial ; en vendre 10.000, une « déception ». Aujourd’hui, des chiffres pareils, c’est plutôt un « conte de fées ». Un peu plus de 10.000, c’est quasi un « best seller ».

Si un simple chroniqueur de journal national a plusieurs dizaines, voire centaines de milliers de lecteurs par article, un auteur de roman a, lui, en moyenne, un petit millier de lecteurs ; et encore, quand ceux-ci finissent – voire commencent – le livre qu’ils ont acheté – ou qu’on leur a offert.

Si c’est pour être lu, soyez plutôt chroniqueur. Ou journaliste.

Vers la fin du XlXe, le top des ventes c’étaient Flaubert, Maupassant, Hugo, Zola…

Aujourd’hui, le top c’est Lévy, Musso, Gavalda…, et bientôt Iacub ; (suivent quelques auteurs anglo-saxons type EL. James, auteure de « Cinquante nuances de gris », sorte de Harlequin vibro/latex). Houellebecq, le « plus grand écrivain français contemporain », est loin derrière. On peut donc parler, sans trop se tromper, de littérature sous « respiration artificielle ». D’ailleurs, pour éviter cet accablant constat, d’aucuns parlent plutôt de littérature-s. Avec un S. Ouf, sauvés.

Aujourd’hui, – et c’est enfoncer une porte ouverte –, pour vendre des livres, il vaut mieux passer à la télé. Or pour passer à la télé, un écrivain doit être beau, propre et net ; si possible assez jeune. Si cet écrivain est une femme, c’est encore mieux. Une jolie femme, mieux mieux mieux.

Sur dix lecteurs de romans, huit sont des femmes. L’inverse des jeux vidéo. Sur ces huit femmes, la moitié sont coiffeuses, masseuses ou prof de fitness. Ajuste ton tir, camarade.

Avant la « mondialisation », et le « phénomène Amazon », une librairie lambda proposait environ 70% de romans français, pour 30% de romans étrangers (traduits). Aujourd’hui la tendance est inversée. Soyez Américain, Norvégien ou Japonais. Prenez un pseudo : Ingmar Söderström, ou Yoshiko Okumi, c’est parfait.

Le ratio moyen « manuscrit envoyés par la poste/manuscrit publié » est de 1/1000, voire 1/1500. Le taux de refus est énorme. Normal, c’est souvent « très mauvais » – j’ai pas dit toujours. La tendance irait vers 1/2000 pour ces prochaines années. Face à cette sidérante avalanche de cellulose, certaines maisons d’éditions, sous apoplexie, commencent à accepter des « versions numériques », moins dommageables pour les forêts. Et pour les nerfs.

Si vous ne bénéficiez pas de passe-droit, votre manuscrit sera lu par une personne du « service manuscrits », c’est à dire un ou une étudiant(e) constamment branché sur Facebook et Twitter, pour qui l’avenir de la littérature est aussi important que l’avenir d’un jambon de Bayonne pour un Taliban végétarien. Quant à votre avenir tout court, il s’en fout royalement. Et puis vous êtes qui d’abord.

90% des auteurs de « premiers romans » sont journalistes ou ont, d’une certaine façon, un « pied dans la place ». Inutile de dire que ce ne sont pas ceux qui envoient leur « Manuscrit par la poste® ».

(Autrement dit si vous êtes vieux, moche, que vous n’êtes pas journaliste et que vous ne « connaissez personne », ça va être très difficile. L’auto-édition en numérique peut être une voie à étudier.)

Heureusement, ces données et autres lois souffrent parfois quelques exceptions. A vous d’en croiser une un soir de pleine lune, ou mieux : d’ÊTRE une exception.

Bonne chance.

Des pizzas

10 décembre 2012 by

pizza

Intérieur jour. Un atelier d’artiste décrépi, lumière pâle. Des tableaux posés un peu partout contre les murs, une table basse dans un coin. Deux hommes discutent en faisant les cent pas, un brin énervés.

– Tu vois mon p’tit Marcel, ce qu’il faut que tu comprennes, que tu comprennes bien… c’est que ces gens-là ils ont fait une rencontre… – sans parler de ceux qui sont nés déjà tout en haut… Ces mecs, ces nanas qui sont arrivés là… là où ils en sont, ces grandes stars de ceci ou de cela… les Warhol, Marylin et compagnie,  ben un jour ils ont fait une rencontre, voilà.

– Comment ça ?…

– Ouais, une fois, dans leur vie, à un moment ils ont rencontré quelqu’un. Mais quelqu’un de décisif, avec un pouvoir, tu vois… Un Pouvoir avec un grand P… Pas juste le pouvoir d’exposer dans une galerie ou quoi que ce soit… ou un petit article cordial dans un canard… non non… Un pouvoir énorme !… ENORME, Marcel !… [Il ouvre grand les yeux en écartant ses mains]. Le pouvoir de prendre un mec comme ça, tu vois, de le ramasser… ici par exemple… [Il se baisse, saisit une châtaigne sur la table basse] et de l’amener jusque là tu vois !… [Il pose en un geste vif la châtaigne sur le haut d’un escabeau]… bien dans la lumière, tu comprends ?…  Une position dominante, Marcel…  Tout en haut en haut… [Il mime le sommet d’une montagne]  Voilà ce que peut faire le pouvoir avec un grand P… C’est là-dessus qu’il faut que tu travailles…  rencontrer une personne avec ce pouvoir-là… C’est la seule façon.

– Ben ouais mais bon… Comment qu’tu fais pour  rencontrer quelqu’un comme ça, toi ? C’est pas en buvant des godets ici tous les deux !… dans cet atelier pourri, même pas chauffé…

– Ah ça c’est certain… certain… Faut sortir, se montrer… aller dans les soirées… s’habiller… Hé oui !…  Pis en plus ça se passe pas comme ça si facilement… Toi aussi faut que tu lui donnes quelque chose… en échange… Que t’y mettes du tien… Tu piges, Marcel ?

– Ben j’ai rien à donner d’autre que ce que je sais faire, moi… Déjà j’ai plus vingt ans et puis je suis… je suis pas une… je suis pas…

– Une putain, je sais. C’est bien ça le problème… On est dans un système où ça sert à rien de savoir faire ceci ou cela…  c’est tout à fait secondaire… d’avoir des « idées », tout ça… « à force de travail »…  « de tenacité »… « de talent »… ha ha ha !…  Mon cul sur la commode oui !… La persévérance, pfff… c’est fini ce monde-là Marcel, ça n’existe plus… Le talent est ailleurs…

– Tu me remontes le moral, c’est formidable… Moi tu sais je m’en fous de Marylin ou de Machin… J’aimerais juste exister un peu… Un tout petit peu… Faire mon petit tour de piste et puis c’est tout… Je demande rien de plus…

– Ça va pas être facile…  vous êtes beaucoup trop dans l’arène aujourd’hui… Beaucoup trop, Marcel… Des musiciens, des écrivains, des photographes… des artistes de tout poil… Y en a partout !… dans le moindre petit village maintenant t’as cinquante artistes Marcel !…  à vous bouffer les couilles jusqu’au bas du dos… Jusqu’à ce qu’y en ait un qui sorte la tête de l’eau… Et encore quoi ? dix minutes ?… Non franchement, réfléchis… on connaît personne nous, personne c’est vrai… On n’existe pas…  On devrait plutôt apprendre à faire de bonnes pizzas tu trouves pas ?… d’excellentes pizzas…  Les meilleures de Paname, tiens !… avec de la vraie mozzarella !… Ça marche du feu de Dieu les pizzas !… du feu de D…

– Bon STOP !, allez arrête, ça suffit… Sortons… [Ils quittent la pièce]

Paradoxe

18 novembre 2012 by

©Jean-Marie Campagnac

Dans notre société de la complexité et de l’hyperchoix, il est un paradoxe remarquable : Pour être efficace et compétitif dans un domaine, que ce soit un domaine scientifique, économique, artistique, peu importe, il faut en connaître toutes les arcanes, toutes les subtilités ; or celles-ci sont de plus en plus labyrinthiques et complexes, progrès aidant ; elles offrent en elles-mêmes mille chemins à connaître, qu’il faut un temps considérable et incompressible à parcourir, à explorer. D’un autre côté, cette même vaste société offre une variété vertigineuse de possibilités et de pôles d’intérêt. Tous aussi chronophages les uns que les autres. Lectures, jeux, sports, divertissements, nouveaux médias, « technofolies », surprises et activités sans cesse renouvelées. C’est l’avalanche. On ne sait plus où donner de la tête, où cliquer. Ainsi devient-il crucial de devoir choisir. C’est à dire supprimer certaines activités sans remord, en éviter d’autres, fuir celles qui vous font de l’oeil. Sous peine d’errer d’une activité à l’autre, d’un intérêt ou d’une passion à l’autre – passion qui du coup n’en est plus une – , et de se perdre dans les méandres marécageux de l’absolue dispersion. Jamais avant aujourd’hui n’a été aussi vrai, aussi observable l’adage paradoxal : « Qui trop embrasse, mal étreint ». Cela reste vrai, évidemment, pour le facteur humain. L’amour et l’amitié ont mille facettes, bien davantage qu’autrefois, mais brillent-elles encore ? Qu’en pensez-vous, vous qui me lisez et avez 5324 amis sur Facebook ?

S’adapter, alors. Or comment s’adapte-t-on quand on a un espace au moins deux fois plus long à parcourir (vie in et hors ligne), qu’on a une sorte de « second life » à vivre mais qu’on a TOUJOURS le même temps à disposition ?

A) En augmentant sa vitesse. On survole alors tous les items ou presque. Mais superficiellement.

B) En réduisant de façon drastique et choisie l’espace à parcourir. En devenant en quelques sortes « monomaniaque ». A la vitesse qui nous sied. Et tant pis pour la limonade.

C) En prenant des amphétamines et en réduisant son temps de sommeil.

Autrement, je ne vois pas de solution.

Si un bruit vous gêne

24 octobre 2012 by

Je suis allé me promener cet après-midi dans un endroit que j’aime : la « Promenade plantée » ; une voie aérienne du XIIème à l’origine destinée au train, aménagée depuis quelques années et comme son nom l’indique en lieu de promenade – rectiligne – bordé d’arbres et de végétation variée. C’est fort agréable et parfaitement calme en semaine. Idéal pour une balade méditative loin de la circulation.

Je marchais d’un bon pas, les mains dans les poches, plongé dans je ne sais quelle réflexion ou quel songe éveillé, lorsque j’aperçois, à une trentaine de mètres, un homme qui marchait devant moi. Et que j’allais rattraper si je ne modifiais pas mon allure. A mesure que la distance nous séparant se réduisait, un battement assez pénible me parvint aux oreilles : celui du rabat de sacoche mal fermé qui tapait au rythme de ses pas. Un bruit sec de plastique bas de gamme, tic tic, répétitif, tic tic, énervant. Probablement insupportable à terme, pour celui qui cherche la paix. Je décidai de ralentir, de le laisser filer ; qu’il disparaisse devant, s’évanouisse dans la perspective, ce fauteur de trouble. Je m’arrêtai presque, désirant creuser la distance avec efficacité. En soupirant d’aise retrouvée.

C’est alors que je perçus, pas loin derrière moi, une autre présence, sonore, progressive et tout aussi importune : un individu se rapprochait, propageant pour sa part un étrange raffut. Il ne me fallut pas longtemps pour comprendre : il portait aux pieds – je le vis en me retournant et en observant l’animal – des sortes de pantoufles orthopédiques en cuir sale, usées, grisâtres. Et qui traînaient, traînaient, traînaient à chacun de ses pas appuyés. Le type, débraillé et massif, n’avait pas l’air tout à fait normal – peut-être un handicap l’accablait-il. Quoi qu’il en fût, il n’y a rien de plus menaçant pour le moral qu’un homme qui traîne les pieds avec conviction. Ce bruit de friction symbolise à lui seul toute la lourdeur vacharde de la condition humaine. Le poids du monde sur les épaules des hommes qui n’en peuvent plus. Qui n’ont plus la force. C’est déprimant.

Je me suis vu devoir résoudre, et vite, un problème redoutable : comment trouver ma place entre les deux marcheurs afin que le bruit me dérange le moins possible, sachant que l’homme derrière moi se déplaçait un peu plus rapidement, me semblait-il, que celui devant moi. L’évidence mathématique m’accabla : V2 allait rejoindre V1, et moi j’étais pris dans une sorte d’étau sonore qui doucement se refermait, quelle que soit ma vitesse de déplacement.

Une idée lumineuse me traversa l’esprit : et si je m’arrêtais sur un banc pour laisser ce petit monde passer, s’éloigner de moi tout à fait ? Mais la lumière de cette idée ne me convint pas. Il n’était pas question que j’interrompisse ma promenade, que j’avais résolu de conduire d’un pas régulier pour oxygéner mes pensées. Rien à faire, que s’adapter.

Le secours d’un aphorisme de John Milton Cage Jr. – musicien minimaliste du siècle dernier, philosophe à ses heures – m’apparut alors, magnifique, providentiel : « Si un bruit vous gêne, écoutez-le. »

J’allais ainsi prêter une oreille attentive aux deux sources sonores dont l’amplitude s’accroissait, plutôt que d’essayer vainement de leur échapper.

Je me concentrai sur la première, la sacoche mal fermée qui me précédait, son petit battement swingué ; le trouvai alors intéressant avec son bruit de coquille, presque animal, un fragile animal. Il y avait du tempo dans l’air. Je comptai cinquante-huit battements par minute. Un down tempo, donc.

Les pantoufles quant à elles nous rattrapaient, tss… tff… tss… tff… tss…, c’était le charleston cymbale, impeccable, prodigieux. Un Zildjian des grandes occasions, juste feutré et sec comme il faut. L’envie me prit presque de me mettre à danser dès lors que V1, V2 et moi-même nous trouvâmes enfin groupés. Jazzmen de fortune.

Car alors… ah, messieurs et dames, que je vous dise…, car alors mon téléphone sonna. Une ligne de basse pentatonique et mélodique, saupoudrée d’un arpège aux claviers de derrière les fagots. Qui s’accordait à la perfection au rythme cadencé de mes compagnons.

Et qui me mit en joie dans la lumière d’octobre.

Il appartient à chacun de voir s’il y a une morale à cette histoire. La vie est pleine de contraintes, on le sait, d’adversité et de désagréments. Plutôt que de fuir, plutôt que de gémir, ne faut-il pas, parfois, chercher à composer ? Voir en quoi les entraves peuvent être profitables ? Si un bruit vous gêne, écoutez-le. Ecoutez-le bien. Pénétrez son monde. Merci John pour cette leçon de tolérance.

 *

(Parlant de tolérance, justement, le lecteur attentif et féru de grammaire aura peut-être noté des glissements de « concordance des temps » entre le début du récit, le milieu et la fin. C’est peu commun, totalement déconseillé en période d’examens scolaires, mais ici tout à fait délibéré.)

 

Photolfactives (3)

28 septembre 2012 by

Me revoilà. Pour le dernier volet de cette brève trilogie perceptive dans le monde des parfums. Cette rentrée, plus fraîche heureusement, – alors que mon projet SIX MILLIONS avance à la vitesse d’un étalon à l’abreuvoir –, m’a vu remonter tout mon matériel olfactif de ma cave (huiles essentielles, absolues, mat. de synthèse) et organiser mon atelier. Pendant que d’autres s’étripaient sur le dernier Angot, poil au dos, et que Baptiste Doisnel, pâtissier à Conflans, mettait une touche finale à sa nouvelle recette de religieuses à la gentiane. (Vous noterez combien rien ne m’échappe même si mon nez n’est pas plongé dans les livres ces temps-ci ; ce que je ne regrette en rien, holà non.)

Mon « orgue à parfums », donc, ainsi qu’on appelle le dispositif, se compose actuellement de 207 matières, dont les deux tiers sont naturelles (agrumes, bois, fleurs, épices, etc.), le reste « de synthèse » (esters, adléhydes, acides divers, isolats et autres molécules plus ou moins complexes). Une sélection triée sur le volet, pas tout à fait définitive, qui m’a pris plus de trois mois et m’a coûté, ça va sans dire, la peau de la tête. (Ou les yeux des fesses, c’est encore plus cher.)

Que vais-je faire de tout ça ? C’est assez vertigineux tous ces flacons, doublés voire triplés à cause des dilutions différentes. Car oui, que vous le sachiez, certaines matières sentent différemment en fonction de la dilution. Pur, à 10% dans de l’alcool éthylique, ou 1%, voire 0,1% pour le diméthyle sulfide, par exemple (composé soufré à l’odeur d’asperge, d’artichaut cuit…), eh bien ça compte dans le rendu olfactif. Autant vous dire que les possibilités de combinaisons sont infinies. Vertige.

Soyons clair : je ne suis pas né dans une rose à Grasse, ni ai un cursus de parfumeur, loin de là. J’ai juste un nez assez juste, de la curiosité et de l’imagination. Et un peu de temps. Pour l’heure, mon incursion dans ce vaste domaine se borne à tester des accords, des vibrations, des échos olfactifs, ce genre. Noter les choses avec précision. A deux, trois, quatre matières ensemble. Pouvoir reproduire. Etudier les effets de certaines matières étranges ; comment modifient-elles sensiblement une fragrance. Avancer doucement dans la nuit, le nez aux aguets, crayon en main. Faire des listes, classer les correspondances, éliminer les redondances. Travail de mémoire aussi. Savoir mettre une case visuelle, sensorielle, à « acétate de styrallyle » ou à « galbanum, Iran ». Retrouver « cis-3 hexenol », « coumarine » ou « verge d’or, Canada ». Différencier le « bois de rose », du « bois de ho » et du « linalol », trois matières extrêmement proches, la dernière étant un isolat des deux premières. Exercices quotidiens, à l’aveugle. Ne pas être pressé, surtout pas. Le temps est incompressible en parfumerie. Discipline solitaire, avec horizon lointain. Dernière case BD de n’importe quel Lucky Luke.

Que vais-je faire de tout ça, donc. Je fus photographe dans une autre vie, ceux qui me suivent le savent. Retrouver des images. Sans appareil, mais avec le nez pour objectif. Voilà ce qui m’intéresse ici : créer des images olfactives. Pour le moment. Des Photolfactives (tiens, je vais ajouter un ®, ça sonne bien ; et ça impressionne toujours un « ® », les gens se disent whaaa c’est un concept protégé !). Prenons une photolfactive® de base : l’odeur du citron : elle représente un citron. L’odeur de la rose : elle représente une rose. Mais là attention : L’absolue de rose = l’odeur de la rose moins quelque chose. Il y a plus de 500 composants chimiques (!) dans l’odeur vraie de la rose, très subtile et riche, bien plus que dans l’absolue de rose (dont la fleur ne lui a pas livré tous ses composants lors de la distillation) ; c’est en outre une odeur bien plus complexe que le simple alcool phényl-éthylique, molécule dont l’odeur est la plus proche de celle de la fleur naturelle. La nature est d’une richesse extrême, difficilement copiable. On peut s’en approcher, même d’assez près, grâce à des techniques comme la chromatographie en phase gazeuse (qui permet de lister en l’analysant une bonne partie d’une odeur), mais l’égaler absolument, dans le cas d’odeurs aussi complexes qu’une fleur à parfum, c’est impossible. Alors les parfumeurs, dont un des exercices est le « soliflore », tentent de revisiter la rose (ou le jasmin, la tubéreuse, le muguet…), qui en lui ajoutant un peu d’épice, qui en la rendant plus verte – en bouton –, qui en la soulignant de vanille pour la sucrer, etc ; en fait ils tournent autour, parfois pour des résultats tout à fait convaincants et exquis.

Des images olfactives, donc. Clic, clac. Une route sous la pluie. Clic. Une maison de campagne. Clac. Une corbeille de figues sèches et de noix. Quoi encore ? Un vieil ours en peluche d’enfance – avec ses oreilles mordillées. Des milliers d’images. Parfois simples, parfois « composites ».Tout cela a des odeurs assez précises et définies, quoique personnelles. Qui correspondent aux images. Personnelles elles aussi.

Un parfumeur travaille un peu comme un sculpteur : Il travaille par « formes olfactives », en architecturant l’ensemble autour d’une structure. Quand vous lisez par exemple, au sujet d’un parfum : « Composition lyrique et sensuelle autour d’un chypre cuiré », cela veut dire qu’autour de la base mousse de chêne/patchouli/bergamote/ciste – structure de base d’un chypre, avec du cuir – le compositeur va travailler probablement des muscs et des matières un peu « inattendues » (gardénia, oeillet, lotus blanc, etc.). Gardons bien à l’esprit que dans la parfumerie commerciale, mainstream, ces matières sont pour la plupart des reproductions synthétiques de matières naturelles, plus ou moins bien réussies. Ainsi quand vous lisez « freesia » ou « violette » dans la fiche produit d’un parfum parmi les autres notes, il est entendu qu’il n’y a pas l’ombre d’une trace du moindre pétale de freesia dans le flacon. Il y a de la « méthyl-ionone alpha ». C’est con mais c’est comme ça : c’est moins cher à produire, et plus pratique. Il est bon de s’en souvenir. Lady Gaga a sorti en grande pompe un parfum récemment nommé « Fame », avec de la belladone, de la jusquiame noire, de l’extrait de rat musqué, des matières vénéneuses quoi. Pas d’inquiétude : le service de com a soigneusement habillé le parfum d’une aura « dangereuse donc attirante » pour la nénette de base. Mais il n’y a que des matières de synthèse dans ce jus. (Des noms à donner tout autant de frissons remarquez.) A 45€ le flacon de 50ml, ce qui est peu onéreux vu l’ampleur de la campagne de pub, point de miracle. Rien que du travail sur l’image, l’affectif. (Et ça marche du feu de Dieu, les gamines se l’arrachent, alors qu’olfactivement ce parfum est une écoeurante marinade sans le moindre relief ni intérêt.)

C’est pour ça que certains parfums dits « de niche », où des matières nobles et chères sont utilisées (soutenues ou pas par de la synthèse), coûtent pas loin de 200€ le flacon. Ce qui est rare est cher ; même si d’aucuns exagèrent éhontément. (A titre d’exemple, 1 gramme d’absolue de narcisse de montagne, de fleur de caféier ou de genêt, coûtent pas loin de 50€… Ça calme hein, cinquante mille balles le kilo…) Cependant la différence au niveau olfactif est sensible ; ça n’a même rien à voir. Donc à vous de voir. Ou de sentir.

Pour ma part, et loin de vouloir concurrencer qui que ce soit sur le marché hyper encombré de la parfumerie – d’autant que je n’en aurais pas les capacités, encore moins les moyens –, je vais modestement ouvrir un blog parallèle à celui-ci, un blog olfactif si j’ose dire, qui va s’intituler Photolfactives. Première image sur laquelle je vais travailler : « Le vent dans les arbres ». C’est dit. Texte, image, fragrance. Et coetera. (Aj. lundi 22/10 : Je viens d’ouvrir ce blog : c’est .) Pour ceux que ça intéresse. (J’aurai notamment l’occasion de développer cette histoire de morphologie fréquentielle dont je parlais dans le billet précédent, et que le manque de place ne me permet pas trop de faire ici ; déjà que ce billet est assez long. Enfin, patience dans l’azur, respirez, profitez de l’air.)

Quant à la Brosse Gherta, ma bonne vieille reluiseuse électrique, ça continue, bien évidemment. Avec des billets parfois plus brefs, mais plus fréquents, plus méchants, plus virulents, plus déchirants, plus stupéfiants, plus terrifiants encore. Halala ;)

Tcho.

(PS : c’est comment l’odeur du vent au fait ? On la fait avec quoi ?  – Ah ça…  secret de sorcier mon p’tit ! Bientôt sur vos écrans.)

Parfum et nouveauté (2)

18 août 2012 by

Voilà quelques semaines que je traficote mes fioles de matières – j’en ai pour l’heure 150 en comptant un tiers de matières de synthèse –, à la recherche de « nouvelles senteurs » et autres accords inédits. C’est très présomptueux, assez absurde, mais je suis artiste, enfin c’est mon étiquette, alors me voilà pardonné – d’autant que je ne souhaite pas spécialement redevenir parfumeur (je l’ai été sans doute dans une autre vie, mais vous dire laquelle ?). J’explore, c’est tout, je me frotte, je tâte, je joue. Avec tranquillité, plaisir, et l’exactitude que me donne ma balance au millième de gramme. Je savais que la parfumerie était un art difficile, j’ai la certitude désormais que c’est un art… extrêmement difficile (et tant mieux).

Le b-a ba consiste à bâtir des accords dits classiques (chypre, par exemple, construit sur la mousse de chêne et la bergamote) et d’y apporter quelque modulation à l’aide de matières qui s’accordent pour élaborer un jus dont les molécules (dites « de tête, de coeur et de fond ») s’évaporeront progressivement. Tout est dans le choix et le dosage savant de ces matières. C’est un métier. Dix ans d’apprentissage en moyenne, pour celui ou celle qui part vraiment de zéro et veut la ceinture noire en « parfumerie fine ». Et comme partout, les génies sont rares, les places chères, le copinage de rigueur, et les déceptions nombreuses. Voilà pour le décor, le mythe est sauf. Pour plus de détails spécifiques, il vous suffit de taper « parfum » sur l’ami Google, sans lui faire mal si possible, et vous aurez une centaine de milliers de pages de renseignements. C’est un monde vaste.

Qui m’intéresse car il m’éclaire d’une manière que je soupçonnais sur le processus de création et ses analogies avec, par exemple, la musique (j’y viendrai plus bas, ou dans un autre billet si celui-ci s’avère long).

Voyons d’abord, suite de l’article précédent, cette affaire de nouveauté.

L’histoire de la parfumerie, millénaire faut-il le rappeler, compte une dizaine d’accords classiques – c’est peu –, à partir desquels les parfumeurs d’aujourd’hui tentent, pour certains, de réinventer la roue – autrement dit composer le parfum que, à l’instar de feu Jean-Baptiste Grenouille, tout le monde s’arrache. Dur labeur, cent fois sur le métier remis (surtout si les jus sont testés et re-testés, ce qui est commun dans les marques de grands groupes). Les parfumeurs sont évidemment aidés dans cette lourde tâche par une armée de communicateurs, fabricants d’image et autres publicitaires bardés de techniques manipulatoires. (Car c’est VOUS la star.)

Trouver, déjà, un truc qui sente bon, et si possible qui sente nouveau. (Ensuite viendra l’incontournable phase habillage/image dont j’ai parlé dans l’article précédent.)

Qui sente nouveau ?

Alors que, comme je l’ai dit déjà, plus de deux cents mille références existent et sont disponibles, web et magasins. (Imaginez un linéaire chez Untel Shop, avec 200.000 flacons, c’est une façade compacte de 3 mètres sur 100…) Sans compter le nombre vertigineux de parfums non référencés. Il convient, je crois, d’être humble quand on souhaite créer un « nouveau » parfum. Ou fou.

D’aucuns me diront que tout parfum est nouveau. Ils ont raison : il y aura toujours une différence, même infime, avec ceux de la même famille olfactive qui l’auront précédé. Mais il y a fort peu de chance qu’il soit neuf. Car pour qu’il soit neuf – c’est à dire qu’il repousse les limites de l’histoire de la parfumerie, il faudrait qu’il sorte du champ olfactif culturel d’une population donnée, à une époque donnée, en matière de parfums « portables ». Et c’est de plus en plus difficile. Possibilité est donnée, parfois, par les laboratoires qui inventent de nouvelles molécules, ou plus exactement de nouvelles sensations olfactives. Comme la calone (Givaudan), responsable de toute une vague de parfums à l’odeur marine-iodée – alors inédite – qui déferla ad nauseam sur le marché dans les années 90. Dans un premier temps la molécule est dite « captive », c’est à dire qu’elle n’est vendue (avec un petit ®) qu’à une maison de parfums qui en a acheté l’exclusivité – à prix fort évidemment. Une fois que la molécule est « libérée », d’autres maisons en profitent et le marché est inondé de parfums similaires, ne se différenciant que par l’habillage pour la plupart.

Or la découverte de molécules résolument « neuves » est de plus en plus rare. La champ olfactif contemporain se trouve de plus en plus saturé. On ne peut guère qu’affiner, travailler sur le volume ou la diffusion de telle ou telle fragrance, apporter une note un peu différente, etc. Mais inventer véritablement est de plus en plus ardu. Sur 2000 molécules que Givaudan (ou IFF, ou Firmenich, etc.) fabriquent annuellement, deux ou trois maximum sont mises sur le marché. Avec un sentiment de révolution olfactive de plus en plus faible ces dernières années. On dirait que ça se tarit, en tout cas pour le marché « mainstream », la grande distribution. Obligés d’adapter ce qui existe déjà. De ressortir, actualiser des fragrances disparues. « Comme en mode et en musique », noteront certains observateurs taquins.

On peut alors se pencher sur les « marchés de niche », les artisans-parfumeurs, les fous furieux, les indépendants qui se comptent par milliers de marques, voire par dizaines de milliers dans le monde (hé oui, il n’y a pas que Chanel, YSL, Dior, Guerlain, LVMH &Cie dans la parfumerie, holà non). Pour ces valeureux résistants les possibilités sont un peu moins minuscules de faire du neuf. Leur cible est plus restreinte, acquise à leur cause ; ils ne sont pas tenus de vendre leurs flacons par millions à l’International tests à l’appui. Ils peuvent donc tenter. Tenter des fragrances aux facettes intéressantes, parfois à la limite voire au delà. Apporter des notes osées, étranges, extrêmes… voire mono-molécule (type ambroxan) à leur clientèle plus exigeante et généralement mieux informée. Il y a en outre quelques (rares) artistes-nez, anglo-saxons, comme l’américain Christopher Brosius (avec sa ligne « I hate perfumes », non distribuée en France) ou la berlinoise Sissel Tolaas qui s’emploient à capter, traduire en fragrances les odeurs les plus inattendues. On approche alors de l’art conceptuel, parfois du « grand-n’importe-quoi » (encore qu’il faille le définir, tout est question de point de vue). Et il y a des amateurs, de plus en plus nombreux. Ceux qui veulent sortir des senteurs battues, qui cherchent la rareté, qui n’ont pas peur de plonger dans les abymes du souvenir, de croiser des senteurs de câbles d’ascenseur bien gras, de metro aux heures de pointe, parfois même de tombe ou d’hôpital…  Après, bon, c’est vrai, il faut pouvoir (et vouloir) les porter. Une autre affaire. En France, pays d’un classicisme parfois consternant, il semblerait que nous ne soyons pas encore prêts. La limite du « supportable » a été la collection Synthetics de Comme des Garçons, déjà jugée par trop conceptuelle (odeurs de garage, notes kérosène, plastique brûlé, ce genre). Chez Colette ça passe. Chez Séphora beaucoup moins…

Notons que c’est là, bien souvent, que le « discours-produit » et le travail pointu sur l’image et le contexte prennent tout leur sens pour venir aider une fragrance « étonnante » (c’est une litote) à sortir du flacon – et de l’ombre où elle resterait sans quoi hermétiquement confinée. Pas évident de faire évoluer les mentalités et l’on ne peut guère avancer plus vite que la musique. C’est pourtant bien le rôle de l’artiste ! (Encore faudrait-il que la parfumerie soit considérée comme un art majeur, et là c’est pas gagné – autre sujet de débat.)

En tant qu’artiste la question de la nouveauté – plutôt du neuf – m’est cruciale. Il est un principe qui a longtemps régi l’acceptation ou non de l’artiste dans le champ de l’art contemporain : la condition de nouveauté. L’oeuvre d’un artiste est déclarée « bonne », et donc acceptée, si elle est neuve. Sans quoi c’est de l’artisanat. Or on a vu que toute oeuvre, si elle est toujours nouvelle, a de moins en moins la possibilité – mathématique – d’être neuve puisque toutes les possibilités ou presque sont explorées. (Voir l’article ici, sur la photographie et la musique, où le problème est récurrent…)

Pour sortir de cette impasse créative, j’en viens à me dire qu’il faut désormais considérer le neuf selon deux points de vues très distincts : celui de l’historien, et celui du consommateur. L’historien, contrairement au consommateur non spécialiste, connaît toute l’histoire. Il a en principe une vision totale, verticale et documentée, de ce qui a déjà été fait. Il attend la suite de la pile pour valider. Il attend, parfois longtemps, ce qu’il estime être neuf dans son domaine d’expertise (parfumerie, peinture, littérature, peu importe). Le consommateur, lui, n’a pas de vision globale, il débarque plein champ, à un moment donné. Il voit, il sent, ou commence à lire ce qui lui tombe sous la main ; s’il aime il achète, voilà tout. Peu lui importe que ce soit neuf ou pas : pour lui, hic et nunc, ça l’est.

Tout est neuf pour celui qui arrive.

Loin des balises de l’art officiel, l’accès à tout, tout le temps et depuis partout que permettent les réseaux a transformé le paradigme de la nouveauté : plus que jamais, toute rencontre peut être nouvelle. Toute rencontre – avec une création – peut être une première fois. Chacun son expérience, chacun son histoire.

Il n’y a pas si longtemps l’artiste devait passer les fourches caudines de l’Institution pour être déclaré « artiste officiel ». Les critiques et autres historiens d’art donnaient leur avis, vérifiaient surtout si la « condition de nouveauté » était respectée. Si oui, il entrait peu ou prou dans l’Histoire (Allez hop ! un de plus !).

C’est de moins en moins vrai, et possible, aujourd’hui.

Désormais, la voie du neuf étant saturée dans pas mal de domaines, l’artiste est libre. Il lui suffit de rassembler. De créer sa niche, son réseau et de croître, en proposant nouveauté sur nouveauté à des « gens qui arrivent », sans trop tenir compte de « l’Histoire ». Ce qui n’est pas forcément simple, ne nous emballons pas.

« Je vois nos institutions luire d’un éclat semblable à celui des constellations dont les astronomes nous apprennent qu’elles sont mortes depuis longtemps déjà. » (Michel Serres in Petite Poucette)

La prochaine fois je rentrerai plus dans le vif du sujet – la création de fragrances – en proposant une réflexion sur la morphologie « fréquentielle » des accords dans la musique et le parfum. Dissonance ou pas dissonance ? Harmonie quand tu nous tiens ;-)

(Mais là je repars en vacances, c’est terrible la vie d’artiste ! J’en ai profité, aujourd’hui si caniculaire, pour descendre toutes mes matières à la cave (huiles essentielles, absolues, CO2, etc.) car au-dessus de 25°C tout est bousillé, flingué par la chaleur. J’ai déjà perdu un vétiver de Haïti, je l’aimais beaucoup. R.I.P)