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Retina, serial killer

22 août 2011

Nous voici plongés dans une polémique qui n’a pas tout à fait fini de faire « couler de l’encre » – encore que l’encre se voit détrônée par des pixels depuis un moment déjà – : Le match Ecrans vs Papier. L’ère des écrans va-t-elle définitivement, irrémédiablement, remplacer celle du papier ? Avec des questions corollaires du type : Quelle est désormais l’espérance de vie d’une librairie (traditionnelle) ? Est-il toujours pertinent d’investir dans une imprimante ? (voire dans une imprimerie…)

Pour le moment on peut parler de « cohabitation » douce ; l’offre se dédouble, non sans allégresse. Nombre de livres, de magazines (et de publicités), existent tant sous forme analogique que numérique. Présence physique de « l’objet », ou présence immatérielle des « pages écran ». Et l’on choisit un peu ce qu’on veut, selon nos habitudes, nos préférences, notre budget ; selon aussi la place dont on dispose sur nos étagères… (et là ça se complique assez vite, quand on consomme beaucoup…)

Dans ce combat technologique, j’ai toujours cru dans la victoire du papier. Je me disais que son odeur, sa présence fibreuse, le bruit-que-ça-fait-quand-on-tourne-la-page, faisaient la différence ; et puis cet objet livre c’est quand même quelque chose. Un livre, oui, avec la reliure, le soin apporté à la couverture, le vernis UV ah comme c’est beau. Comme ça claque. C’est irremplaçable je me disais. Ce fétichisme.

Jusqu’à hier soir.

Hier soir mon avis s’est tranché de manière quasiment définitive en faveur de l’écran, après, il faut le dire, une certaine période de latence. Ça avait débuté l’an dernier en juillet ce doute, ce questionnement métaphysique, lors de mon acquisition d’un iPhone4. Ce petit outil de communication conçu par Apple, ma foi bien pratique – j’en suis devenu comme beaucoup inséparable – a une caractéristique qui peut paraître anodine aux yeux de certains, mais qui selon moi se révèle capitale : la qualité extraordinaire de son écran Retina. On est très au-dessus de n’importe quel écran d’ordinateur (bureau ou portable). La technologie IPS permet de monter ici à 324 ppp (pixels par pouce) – je n’entre pas dans les détails rébarbatifs, pas d’inquiétude –, plaçant le rendu (contraste, netteté, et surtout modelé) au-dessus d’un tirage photo ou d’une page de livre d’images « bien imprimées »… Outre que, RVB oblige, le rendement lumineux, par nature additif, est supérieur à celui de n’importe quelle impression (lumière dite soustractive). D’aucuns ont pu d’ailleurs remarquer combien la « présence » d’une image (entendre son « réalisme ») était plus importante sur un écran (même d’assez mauvaise qualité) que sur une photographie ou une reproduction.

Je ne connais pas de personne ayant regardé une photo sur un écran Retina qui ne s’est pas dite « bluffée ».

Or il se trouve que Apple, dans sa grande mansuétude et selon des rumeurs tout à fait vraisemblables rapportées récemment par le Wall Street Journal, s’apprête à munir de cet écran Retina la gamme de ses iPad ! (iPad3 printemps 2012, paraît-il). Comme c’est gentil. Je me disais bien que cette belle qualité n’allait pas rester cantonnée à un écran si petit (celui de l’iPhone)…

Ce n’est pas qu’une bonne nouvelle : c’est une révolution.

Révolution amorcée, au grand dam de certains, avec les « liseuses » et autres e-book, vous savez ces petits boîtiers numériques qui vous permettent (ou vont vous permettre) de transporter votre bibliothèque partout… (Mais pour les liseuses je me disais bon, ce ne sont que des fichiers pdf, la typo vectorielle ok c’est bien net, aussi net que dans les livres imprimés, mais l’image ? Si la qualité et surtout la taille de l’image ne suit pas, il y aura toujours des livres illustrés de « magnifiques photos » !… Ça existera toujours !… Que dire des magazines ? La même chose. Je me disais que les liseuses ne remplaceront jamais les livres, les « vrais livres ».)

Et puis là hop ! un sacré tournant s’amorce. Parce que cette technologie IPS, bien entendu, ne va pas s’arrêter en si bon chemin. Des écrans de plus en plus grands, donnant des images de plus en plus parfaites, réalistes, vont envahir nos vies (nos cartables, nos tables, nos murs…).

Alors oui le problème du prix. Souvenez-vous les imprimantes de bureau : au début des années 90 c’était assez cher. Puis peu à peu ils nous les ont presque données ces imprimantes, le prix a chuté : ce sont les « consommables », les cartouches et le papier qui sont devenus chers. Classique.

Pour les « tablettes » numériques, continuité réjouissante – et ironique – des antiques tablettes d’argile, comme pour l’heure le prix est manifestement un frein (tout le monde ne dispose pas de plusieurs centaines d’euros juste pour s’informer), il est à parier qu’un tour de passe-passe marketing sera inventé pour les rendre tout à fait abordables. Le prix d’un abonnement à votre magazine préféré, par exemple, guère plus. Le contenu finit souvent par financer le support. Un jour les tablettes seront distribuées « gratuitement »…

Ce que je vois disparaître dans un avenir assez proche (allez, on va dire un maximum de quinze ans, histoire que la nouvelle (screen) génération de « geeks » prenne le pouvoir) :

• Les kiosques à journaux…

• Les librairies. (Les seules échoppes qui subsisteront seront des librairies d’ouvrages rares, d’occasion, et très spécialisées – seul endroit d’ailleurs où le « conseil du libraire » n’est pas un vain mot.)

• IKEA supprimera son espace « bibliothèques, étagères, serre-livres, etc.», devenu désert.

• Les tireuses « minilab » et leur satanés « 13×18 » qui engorgent les boîtes en cartons dont le couvercle ferme toujours mal.

• Les galeries de « photographie contemporaine » dont les onéreux tirages encadrés « sous diasec » ne se vendront plus, car trop encombrants et ne présentant chacun qu’une seule image fixe. (On préférera de loin se doter d’un grand écran type Rétina et passer les images de l’artiste au gré de l’humeur, pour un meilleur confort visuel et plastique.) D’ailleurs les musées et autres galeries de renom feront l’acquisition de dizaines d’écrans « qualitatifs » pour présenter leurs expositions : sauf exception(s), finis les fastidieux « accrochages-décrochages », tout se fera par fichiers numériques HHD (Hyper High Definition), en quelques clics et en cinq minutes.

• La profession de « colleur d’affiches ».

• Les cartes routières accordéon (qu’on ne parvient jamais à replier convenablement…)

(J’en oublie, il y en a plein…)

Sans compter les bouleversements que va connaître l’industrie du papier et de l’impression. Des secteurs entiers seront abandonnés. Redéfinis.

Ça fait pas mal de trucs qui vont disparaître non ? On peut considérer cette affaire d’écrans comme un « sous dossier » du basculement numérique, mais c’est tout de même une petite révolution…

(Oui, oui, je sais : « Et l’énergie dans tout ça ? Sacrée facture d’électricité tous ces écrans dans la ville ! » – Je pense que l’amélioration des capteurs solaires et des batteries (énergies autonomes) devrait y pourvoir.)

D’ici là, le débat continue…

(Note : je fais volontairement l’impasse sur les « habitudes de lecture à l’aube du Troisième millénaire », sujet sociologique en soi, mais qui pourra faire l’objet d’un autre billet ; on peut par contre en discuter.)

2011 l’innovante

7 janvier 2011


2010, que d’aucuns pressentaient comme néogène (pardon : génératrice de nouveauté), a vu la création s’embourber dans la redite, la revisite, la resucée. La re-re-re. Bref : dans l’affligeant ennui. Et ce n’est pas les quelques voitures électriques en forme d’oeuf de grue ni l’iPhone4 qui nous feront changer d’avis, n’est-ce pas. Ni bien sûr la soporifique collection été de Rolf-Hussein McSchmittendonck, où le gris remplace son copain le beige. Encore moins l’économe à pastèque de Starck le Malin. Sans parler de la chansonnette de… du roman-ruisseau de euh… (qui vous voulez, y a le choix). Non, soyons clairs : on s’est copieusement emmerdés sous les sunlights et dans les chômières (mot-valise), de Tokyo à Goussainville et de Capetown à Zvovsk-plage. (La preuve : on a reparlé de Patrick Juvet.)

Cependant, pour 2011-2012, certains observateurs et chasseurs de tendance très au courant – comme moi (mais bon moi c’est normal : la prospective ultra-futur c’est un peu mon métier…) – annoncent quelques innovations cette fois résolument novatrices. Eh oui. Enfin du vrai Nouveau. Et j’ai le très grand plaisir, en tant que membre à vie du Comité Supérieur du Jugement, de vous faire part de l’existence prochaine (sur nos marchés européens) d’un certain nombre de réjouissances technologiques et diablement excitantes. Le magazine Science & Vie leur consacrera d’ailleurs un numéro Spécial Progrès l’automne prochain, mais comme sur le web éclairé on est toujours un peu en avance, en voici (brièvement) déjà trois en avant-première.

Le « Music Plate »

Surgi des profondeurs corticales des plus éminents chercheurs du MIT (Massachusetts Institut of Technology), le Music Plate est l’aboutissement d’un programme mené depuis 1994 sur ce que les spécialistes appellent la consistance phonique isobare (à savoir la matérialisation d’impulsions sonores sur support polymère tendre). Lors de la prise de son, un détecteur d’onde (sorte de micro) transmet l’énergie acoustique à une rondine extra-plate et grave rotativement, au carbure, l’image exacte du relief musical ! C’est saisissant. Il suffit, pour la restitution, de faire passer (à l’aide d’un doigt métallique tangentiel) une pointe de cristal dans la trace laissée dans la masse, et d’amplifier. Fini la piètre qualité immatérielle des vieux MP3 ! Les fichiers qu’on efface par inadvertance… Place au solide ! Au durable ! A la musique concrète. Des tests montrent par ailleurs que la dynamique, la pression sonore, sont bien plus importantes qu’auparavant. Le son serait meilleur, plus chaud. De plus, ces Music Plate étant significativement plus généreux que les anciens CD, les graphistes et autres photographes pourront s’en donner à coeur joie pour élaborer les pochettes (on parle de surface équivalant deux feuilles A4 environ, soit quatre à cinq fois plus grande qu’un vulgaire cédé !) L’industrie de l’ameublement oeuvre déjà à la conception d’espaces de rangement décoratifs spécifiques pour recevoir ces précieux objets du futur. Que de travail en perspective !

Le « Stay&Speak®»

C’est cette fois MitsuTek, un Japonais du nord, qui nous prépare en lieu et place des portables tactiles et compliqués qui traînent dans nos poches (oui mais où ?) un véritable « must-have » pour demain, combinant esthétique ET simplicité d’utilisation. Il s’agit d’une sorte de double cornet en duraflex moulé, muni en sa base d’un cadran numéral mécanique de haute précision (circulaire), pour appeler dans la plus totale décontraction un correspondant sans risque de se tromper de « contact ». Fonctionne aussi pour répondre : il suffit de soulever l’appareil au moment de la sonnerie. Un support mural (ou de table) est prévu pour poser l’engin juste après la conversation. Génialissime. Un vrai plaisir de technophile adepte du minimalisme. Délibérément simple, efficace et solide, d’une indiscutable élégance, le Stay&Speak® enchantera les intérieurs les plus raffinés, tout comme la soupente des budgets plus modestes. Un système filaire sécurisé et auto-alimenté, assuré par la Compagnie Transnationale des Lignes, nous fera oublier très vite nos anciens petits compagnons si grésillants en « l’absence de réseau » et si vite fatigués en l’absence de recharge. Appeler son prochain sera désormais un acte choisi, mûri, et non bêtement compulsif. Avec l’espace de liberté enivrant qui en découlera de toute évidence, corollaire attendu d’une approche rationnelle et mesurée de la téléphonie moderne. La dictature de la disponibilité à tout prix semble toucher à sa fin ; qui s’en plaindra ?

Le « Touch »

Quand une chorégraphe soudanaise croise un psychologue behaviouriste dans un laboratoire canadien, parfois ça fait des étincelles. Mouvement et comportement pour allumer le feu nouveau de la grâce, voilà l’histoire. S’appuyant sur l’estimable somme théorique du sociologue des réseaux Paul Fluviens, ces deux créateurs ont mis au point une sorte de parade amoureuse destinée à renouer les fils qui s’étaient dénoués à cause de Facebook, Meetic et autre techno-parade nombriliste et sans issue. Comprenons bien : les fils physiques et réels, tactiles, entre humains de sexe opposé – voire de même sexe. Ainsi est né le Touch, jeu à deux protagonistes, qui consiste, lors de soirées organisées dans des espaces cosys un peu sombres, à proposer (poliment et à voix basse) à une personne de se coller contre soi pour évoluer pas à pas au son d’une musique calme, rythmée à 30 pulsations par minutes (BPM). C’est tout à fait prodigieux cette lenteur langoureuse. Ce retour au Jardin des Délices. En terme de séduction et de réel contact, on est loin de l’agitation sudoripare et décérébrée qui fait encore fureur sous nos  ciels « hype » et sans étoiles. Tonk! Tonk! Tonk! oubliez… Imaginez plutôt deux corps enlacés, verticaux jusqu’à quand, des mains posées tendrement sur des épaules nues ou des hanches, des visages qui se cherchent, se frôlent dans la moiteur, se parlent en direct… Halala. C’est le Touch, mesdames et messieurs. Le Touch de Vancouver. Qui va débarquer en France et dans toute l’Europe d’ici, si tout va bien, deux à trois ans en commençant par Ibiza (of course). Une cellule expérimentale a été conduite l’automne dernier dans le Limousin, les résultats sont prometteurs. Outre le protocole d’approche de « l’autre », on a salué la relative facilité d’apprentissage du pas, bien moins complexe et désuet que le paso-doble, la salsa, la valse ou le tango péruvien. Donc la pénétration au niveau des jeunes risque d’être élevée et de conduire au succès sans alcool. Il faudra néanmoins réapprendre à s’apprivoiser physiquement, vaincre la timidité que les réseaux distants ont façonné entre les personnes. A ce titre des brochures anti-peur seront distribuées, des animateurs-formateurs engagés, enfin tout un monde qui va se remettre à bouger pour la cause de l’Homme sensuel et joueur, animal social entre tous. Créer du lien, du vrai. Encore un peu de patience mais faites vos jeux mesdames et messieurs. Faites vos jeux.

Douce année à vous.

L’ère du masque

26 juillet 2009

masques blog

Cher Monsieur,

J’ai bien reçu votre courrier du 14 mai dernier qui faisait suite à notre entretien, vous remercie de votre intérêt et de votre confiance.

Débordés comme rarement, c’est avec vigueur et bien navré que je tiens tout d’abord à m’excuser pour cette réponse un peu tardive. Ce qui m’a permis en revanche me pencher personnellement sur les éléments que vous surlignez dans votre missive, questions qui tout comme vous continuent de nous inquiéter aujourd’hui, je puis vous l’affirmer sans détour.

Peut-être les lignes ci-jointes en copie (extrait libre du dossier), matrice mise en forme à l’époque par nos services pour la procédure de contumace, vous aideront-elles dans vos investigations. Que les quelques tournures littéraires et autre cosmétique que vous y trouverez, – ce ton qui peut aider la défense dans sa préparation –, ne vous empêche pas, le cas échéant, de voir ce que vous recherchez pour votre émission – fameuse, et toujours intéressante.

(…)

Me Gaspard de Hauteville, Avocat à la Cour.

*

(…)

Ce 12 septembre 1989, – autant dire il y a un siècle –, quand Pierre Bonnefoy tape pour la première fois « Bo JH TTBM » sur le clavier de son minitel, il entre sans le savoir dans un univers qui finira par l’empoisonner. L’empoisonner et, ce qui n’est pas moins grave, l’emprisonner tout à fait.

Pierre Bonnefoy s’ennuie dans la vie. Il a un travail, marionnettiste, une femme, quelques amis, même un projet d’enfant, mais il s’ennuie ferme. D’autant qu’il présente aux yeux d’autrui le profil type de « l’homme moyen » tel que certains le conçoivent encore, avec une once de mépris bourgeois. L’homme incolore, avec son court mètre soixante-douze, son visage mou de poupon craintif, et, pour entrer comme il faut dans le tableau, son début d’alopécie et sa propension à la transpiration excessive. Or s’il est une chose que Pierre Bonnefoy redoute avant tout, c’est, paradoxalement, la mollesse palote de l’existence. Le train-train quotidien, sans aspérité aucune, sans chemin qui s’enfonce, sans mystère qui happe, sans excitation particulière. Sa jeunesse festive et protégée à Neuilly ne l’a pas habitué, encore moins préparé, à la grisaille commune des jours. On arguerait pourtant qu’un projet d’enfant est quelque chose de lumineux, qui risque de déboucher sur des joies longues ; qu’on va oublier son petit nombril d’intermittent du spectacle un temps, mais non : Pierre Bonnefoy n’en a cure ; il ne peut que se résoudre à admettre qu’il s’ennuie trop souvent ; c’est comme ça, c’est son sentiment. Ce qui le chagrine, surtout, faut-il le redire, c’est son aspect physique ; on le regarde fort peu : il eut préféré de loin être plus grand, plus beau, globalement mieux bâti, plus viril aussi, plus résistant ; mais la nature, sans avoir été cruelle, ne l’a doté que moyennement des atours du corps ; le minimum vital en somme ; charpente, cœur, poumons, et sang, pour faire bref. Ce qui, nous allons le voir, est un peu juste, pour les ambitions démesurément sensuelles de Pierre Bonnefoy – que ses marionnettes ne peuvent absorber.

« Bo JH TTBM », donc. Le pseudo brille de son éclat le plus vif sur l’écran de pixels ; intrigue, en ce tout début d’époque des « réseaux sociaux ».  Et puis ça n’est pas rien « TTBM », sigle emprunté aux codes gays naissants ; « très très bien membré », ça attise sacrément ; le truc hors norme, la puissance vitale qui fait tant défaut à Pierre Bonnefoy. Lui soudain en Apollon-étalon ! pectoraux, abdominaux, barre à mine à mi-hauteur. Magnifique avatar ! Dieu grec, mesdames et messieurs les jurés ! Au travers duquel il conversera longuement, fièrement, avec « Corinne mariée », « Julia 95C », « Couple pour trio », voire même « Bruno bonne suceuse », sources inépuisables d’excitation, de dialogues salaces et prometteurs qui parfois l’emmèneront jusqu à tard dans la nuit, sexe en main, en transe, alors que sa femme Sophie dort. Ou qu’elle ne dort pas.

Dans la vie tristement pâle de Pierre Bonnefoy, cette découverte qu’on peut s’inventer vite fait une identité en kit – fut-elle fallacieuse – va s’avérer d’abord providentielle, quoique ce jeu de rôles, comme on pourrait le définir sans pousser trop l’analyse, n’occasionnera aucune rencontre véritable. (Plus besoin de rencontrer d’ailleurs : le tchat, comme chacun sait, permet d’obtenir une distance si proche – curieux oxymore -, si tactile, qu’il est devenu tout à fait décevant et superflu de rencontrer qui que ce soit ; d’autant plus quand, comme dans le cas de Pierre Bonnefoy, il y aurait clairement « tromperie sur la marchandise ».) Providentielle découverte, disais-je, car cette forme de schizophrénie virtuelle et délibérée, contrôlée au début, va se trouver comme porteuse d’une vie augmentée, annonciatrice d’un espace de plus à parcourir (assis, devant la peau si douce de l’écran), d’un champ sensoriel nouveau à investir ; il serait trivial et taquin d’affirmer qu’elle invite à une Second Life (ici, essentiellement sexuelle). En tout cas à une other life. Ce qui ne connaît aucun précédent dans l’histoire des technologies de communication.

Par parenthèse, le cas Bonnefoy n’est pas sur ce plan un cas isolé, loin s’en faut. Des hordes de mâles assoiffés, qui s’ennuient tout autant, l’enquête l’a montré,  rejoints bientôt par des grappes de femelles tout aussi seules, vont se retrouver, régulièrement, sur des « sites de rencontres ». (Parfois, d’ailleurs, une rencontre a lieu. Une vraie. Avec, la plupart du temps, étreinte mécanique, expédiée, désillusion à la clé, et retour à la case solitude pour refaire un tour. Mille tours. Myriades de solitudes tout agitées de mouvement brownien, erotico-erratique, c’est très amusant à observer. Moins à vivre, forcément, à la longue.) De nos jours, ces sites se sont perfectionnés, chacun bénéficie d’une « fiche produit » personnelle permettant l’évaluation rapide et réciproque de la marchandise. Il fut un temps, notons-le au passage avant de clore la parenthèse, où le chaland espérait, en s’inscrivant sur ces sites, faire une « vraie rencontre », sérieuse, durable ; surtout sur ceux où le motif de consommation sexuelle était plus sournoisement éludé au niveau fonctionnel. Mais ne nous leurrons pas mesdames et messieurs : dans ce monde du jetable-roi, chacun cherche son chat d’un soir, comme dirait l’autre, comme-ci ou comme ça. Puisqu’on s’ennuie. Puisqu’on doit consommer jusqu’à la mort, abrutis que nous sommes.

(…)

Voilà notre Pierre Bonnefoy rendu en juillet 2006, plus de quinze ans d’expériences virtuelles derrière lui. Il est divorcé, sans enfant, au chômage, fiché pour « détention et diffusion d’images numériques à caractère pédophile », fatigué chronique, sujet à de fréquents maux de tête, accès de torpeur morbide et autres vertiges difficilement supportables. Son généraliste (Dr. Rubinstein) y voit surtout une dépression bien installée, consécutive à une monomanie désocialisante, de type addictif, doublée d’un manque total d’activité physique. Ce que le praticien ne voit pas, en revanche, qui est fondamental et que révèlera plus tard l’expertise psychiatrique, c’est qu’il n’y a plus de Pierre Bonnefoy : Pierre Bonnefoy a quasiment disparu. Il y a bien son patronyme sur sa carte de sécu, sur tous ses papiers, sur sa boîte aux lettres remplie des courriers qu’il reçoit à son nom, il y a bien çà et là de réelles traces d’identité, mais lui, Pierre Bonnefoy, le vrai, l’habile marionnettiste, le mari timide et effacé, n’existe plus. Il s’est dissout, liquéfié ; ou plus exactement il a éclaté en monades identitaires multiples, cent fois renouvelées. Pierre Bonnefoy, en homme intelligent et créatif, a été non seulement un jeune homme fortement doté, le « bo jeune homme » des débuts, mais aussi, une « fée des enfants », un « fan de Barbapapa », un « prof de lettres cokin », une « salope à blacks » ; il a été Bobby la gaule, Cul d’or, Lili Pute, Heavy Cock, Hot Psy, Tarzette, China girl, Blanche fesse, Urubu, Penetrator, etc. ; il a rempli des dizaines de fausses fiches, agrémenté ses « pages perso » de photos volées sur le web – portraits, nus –, de renseignements précis et invérifiables sur « lui » (mais lequel ?); il a parcouru des forums en anonyme, des blogs, affublé de pseudos étranges, parfois drôles, ou consternants, ou effarants. Il est resté des heures, des milliers d’heures, hébété, drogué, loin de Pierre Bonnefoy du vrai monde, loin de la vraie vie, s’inventant des destinées, créant des marionnettes inédites, assis devant sa fenêtre magique avec ses masques d’halluciné, aspiré par les courants forts de l’océan bleu, son seul et unique horizon.

Dans ce qu’on entend d’habitude par « monde réel », analogique, Pierre Bonnefoy a fini par totalement inexister. Avant l’incident il ne mangeait plus, ou si peu, si mal, son bureau où il s’est longtemps calfeutré était devenu un indescriptible foutoir, un cloaque aux relents aigres. Sans travail, sans confident véritable, seul dans sa citadelle, il disait pourtant vivre « intensément », échanger avec ses « nombreux amis » MySpace, quand sur ordre de police on est venu le chercher pour l’interner en urgence. Pour « l’écarter du monstre et le mettre à l’abri », rectifie Madame sa mère, éplorée (Lucette B., née Daumier, troisième témoin).

Voici venue l’ère du masque, mesdames et messieurs les jurés, sinistre et redoutable ; cet avènement que permet Internet avec une facilité et une efficacité inégalables, et qui, soyons clairs, ne fait que commencer.

Dépassé par la Machine, avec comme seule boussole sa passion, l’Homme est faible s’il est livré à lui-même. Aussi j’en appellerai à votre clémence, à votre intelligence sensible surtout. Comment ne pas avoir une pensée émue pour Pierre Bonnefoy, ce pauvre homme qui, m’a-t-on signalé lors de ma dernière visite à Sainte-Anne, souffre maintenant d’effrayants délires hallucinatoires. Le service où il se fait soigner reçoit de plus en plus de cas semblablement tourmentés. De plus en plus jeunes. Des « gamers », des « fous de la toile », comme on les appelle. Indépendamment du passage à l’acte qui nous occupe avec Bonnefoy et pour lequel les dernières expertises montrent bien des lacunes, je laisse à votre sagacité le soin de juger combien tout ceci est préoccupant pour la Santé Publique.

(…)

Note NLR : si un brin d’éclairage sur la dimension psychopathologique de cette affaire était jugé nécessaire, le lecteur intéressé pourra notamment se référer au « syndrome de Lerne », curieuse affection décrite dans quelque sombre pli de HYROK, roman social à paraître le 7 octobre 2009 aux éditions Léo Scheer.

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22 juin 2009

La cause

Bonjour monsieur… Bienvenue à bord… 87K, oui, c’est un peu plus loin à gauche, près du hublot…
Ok…  L’allée centrale, moquette bleue… rangées de fauteuils alignés comme des soldats…   50… 60… 70… Voilà… classe cet Airbus quand même… tout est nickel… c’est spacieux pour les jambes… Pardon madame… Oui je suis au fond… merci… pardon…
Voilà.
J’aime pas son parfum à celle-là… pas du tout… C’est quoi ? Chanel peut-être… Chanel, ça doit être ça… Coco… ou un Guerlain… un truc avec de l’iris…
L’hôtesse est top, elle… joli port de tête, mignonne… vraiment bonne… elle sait faire, c’est clair…   pas mal ces Brésiliennes quand même…  enfin elle est peut-être pas Brésilienne en fait… sur Air France…
« Bonne »… Qu’est-ce que c’est con comme expression… comme si on avait déjà essayé… Ça veut vraiment rien dire… c’est nul…
Putain tout le voyage avec cette odeur de cocotte ça va pas être drôle… Y en a quand même tu te dis… des doses pareilles, merde…
Bon, ça se remplit…  quelle heure il est… bientôt 19h…
Los Angeles la nuit, ça c’était génial l’an dernier… génial…  la ville au décollage…  immense… comment ça va être sur Rio la vue ?… Fait pas assez nuit encore… pas tout à fait…
Fait chier son truc… ça devrait être interdit pendant les longs voyages les parfums lourds… Ah ok je vois le genre… Gala… Figaro Madame… Tu parles… Elle va me casser les couilles c’est sûr… Si au moins elle était baisable… Elle doit avoir quoi… cinquantaine… La bonne bourge qu’est venue se taper des bronzés… Ses mains sont moches… Bref… On est pas obligé de se parler en avion…
Sont trop petits ces hublots… Pourquoi ils font pas des sortes de baies vitrées plutôt ?… C’est chiant on voit pas grand chose avec leur vitre triple épaisseur… Y a de la buée en plus…  Comprends pas pourquoi ça a pas évolué ça… Y a des trucs, comme ça, qui évoluent pas… C’est étrange…
Tous ces rivets… comment ça tient sur les ailes… quel boulot les mecs qu’ont assemblé ça… ces carrés en titane… ça fait un peu casserole en alu…  Sont allés jusqu’à la lune avec ça…  ça tient super bien…  Encore heureux hahaha…
On voit plus grand chose là…  commence à faire bien noir…
Doudou… Qu’est-ce qu’elle fait en ce moment ma Doudou ?…. Quelle heure il est à Paris ?…  Elle est réveillée ma chouquette… sûrement…  Ah merde faut éteindre le portable… J’espère qu’elle a arrosé les plantes il a dû faire chaud aujourd’hui…
On se casse on dirait… Ouais c’est bon ça bouge…
Ça aussi tiens… leur truc de sécurité, là… Je me demande qui lit ça comme il faut… triple carton vernis… avec leurs dessins internationaux…  Avec cette miss qui fait les même mouvements depuis des années pour montrer… Elle doit en avoir marre non… masque à oxygène et compagnie… C’est un peu cheap ces trucs en plastique, j’ai toujours trouvé… ça doit être étudié pourtant… être assez efficace…  enfin si c’est bien utilisé…
J’étais sûr qu’elle allait ouvrir sur l’horoscope cette conne… Montre un peu pour voir… Sagittaire… merde pas mes lunettes… Premier décan… Santé… Ou sont mes lunettes ?… vous ne…  vous ne quoi ?… j’arrive pas lire, tant pis…
J’vais mater la video et je dormirai un peu après… Spiderman… bof… La Cité de Dieu…  paraît qu’c’est bien ce truc…  violent mais bien… C’est vrai qu’je suis pas trop allé voir les bidonvilles à Rio… J’aurais dû, je suis con… Profiter d’être là… C’est sûr que ça change de chez nous… Mais bon cinq jours c’est super short…

… your seat belts till the light turns off, thank you… … arder votre ceinture attachée jusqu’à l’extinction du voyant lumineux, merci…

J’me ferai jamais à ces putains de décollages, j’ai toujours les mains moites…  et puis là avec l’aile je vois rien…
T’imagines un pneu qui éclate à quatre cents à l’heure …. juste avant que ça décolle… La carlingue qui sort de son axe d’envol à cause d’un putain de pneu… la grosse cata hahaha… merci d’avoir choisi Air France…
Hola… Ouah putain ça y’est… Putain la montée en régime… la poussée… ça y’est ça dépote… Yeeesss… Houa… … …  Hop-là ça y’est ça monte… ça monte sec…
Mon reflet dans le hublot. Mon nez. Mon nez brillant. Le reflet de la rangée. On voit rien à travers la vitre, c’est un trou noir. Ah si quand même des petites lumières de rues là-bas… Si si. Et cette masse, là… C’est le Pain de Sucre avec la baie… Putain ça monte vite ce coup-ci…. Ils ont toujours le même angle ? je me demande… En principe oui, enfin y a pas de raison que ça change… Il est gros cet A-320… ou 330 je sais pas…

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Une chance sur dix millions il paraît… de finir dead dans un crash aérien… Au décollage ou à l’atterrissage…  Un peu plus à l’atterrissage d’ailleurs… C’est sûr c’est pas d’bol… L’avion c’est quand même le moyen le plus sûr de se déplacer maintenant… Tu m’étonnes… C’est très rare les avaries matérielles…  Hyper rare… Surtout sur ces compagnies-là…
Une chance sur dix millions par période d’un an, ils ont fait des stats assez précises… Ça veut dire… qu’en dix ans, t’as une chance sur un million d’y passer si tu voyages un peu régulièrement… En cinquante ans, plus qu’une sur deux cents mille, là ça commence à faire risqué…  surtout si t’es hôtesse ou pilote, eux ils sont toujours dans la carlingue, c’est leur boulot…
Bon, allez… Qu’est-ce que j’ai pris là-dedans… Ouah j’ai déjà mal à la nuque…  Un San-A… Vol de nuit… le Libé d’hier… et le fascicule du Congrès… J’vais mater la vidéo et je verrai après le repas… J’ai la dalle tiens… Pas sûr qu’ils servent un repas complet à cette heure-ci…  enfin je crois qu’on peut demander si jamais…

(((Ding)))

Ça y est… c’est bon…  on est à combien… dix mille mètres… non onze mille trois cents, là… T’imagines la température à cette altitude… Putain… Un petit trou dans le fuselage et c’est mort…
On voit que dalle… Black ocean… Pas grave…
Chier cette clim…
Pardon Madame, vous permettez j’aimerais me lever… … merci…

Jolis p’tits lots sur Air France dis donc… Ils doivent pas se faire chier les pilotes c’est clair… Comme sur Cathay ou Singapore…
Merde, « occupé »…
Bon…

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Wow ça secoue là… on dirait qu’on roule sur des troncs…

… and fasten your seat belt… Mesdames et messieurs, notre appareil entre dans une petite zone de turbulences, nous vous prions de regagner votre place et rattacher votre ceinture s’il vous plaît, merci…

Ok…
Pardon monsieur…  madame… excusez-moi… voilà merci…
C’est chiant de rien voir putain… quand ça bouge comme ça on sait pas ce qui se passe… C’est un peu flippant ce train fantôme… Moi qui voulais bouffer un truc je vais un peu attendre… Les gens ont l’air pas trop rassurés d’ailleurs…
Putain…
C’est les masses d’air sûrement qui font ça… Différences de densités… Les vides, les pleins… Comme en peinture… C’est ça la nature… Qui pourtant a horreur du vide…

Tiens c’est quoi ce truc ?… On dirait un rayon…
Doit y avoir des éclairs…
Ça m’étonne des orages à cette altitude…

Madre de Dios !…
Putain !…
Y a…  l’aile… L’aile, monsieur, regardez au bout… toute rouge !…
Qu’est ce qui se passe?… Aaaahh..  au secours…
Le rayon ! C’est quoi ce rayon nom de Dieu !
Je…  Aaaah…
On nous tire dessus ou quoi ??? Ça brûle !!!…
On peut avoir des informations ????
On perd de l’altitude…

(((Viiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii…)))

Mesdames et messieurs ne quittez p…  Aaaah… Gardons… Je… C’est… allo ?  C’est le Commandant de bord qui vous parle…  Nous allons essayer de nous poser rapidement, l’appareil a été touché par… par… par la foudre probablement… Les procédures de secours sont enclenchées, gardez votre calme et votre ceinture attachée…

Mais non ça fait cage de Faraday un avion !… Quelle foudre ???
On se fait tirer dessus oui !!!
Au secouuurs!!!
Regardez !!!
Oh my god!!!!!
Aaaaaaaaaaaaaahhhhh!!!…  Au secooooooouuurs !….
Mamaaaaa!!!…

Non. Non. Pas possible. Je rêve. C’est un rêve. Tout va bien. Tout va bien. Je suis en train de rêver. Non. Nooooooooon!!! Pas moi !!! Pas là !!! Pas moi!!! Mon Dieu!!!! Ma Douce!!! Esteban !!! Maelle !!! Maman. Le jardin. Le lac. Vivre. Je… Non non non… Tenir. Mes oreilles. Chercher les enfants… leur dire…  Mais non je rêve je rêve… C’est pas vrai C’EST PAS VRAI ça va aller ça va aller… On va se poser… Tranquille. C’est rien c’est pas grave ça arrive…  je non. On perd de l’altitude…  On je aaaaaahhhh….  Au secouuuurs… Mon Dieuuuuu…. Je peux je rien non vite… lâchez-moi lâchez-moi le bras… je v…
Masque à oxygène…  enfiler ce truc…. jaune… jaune..  soleil, lumière, plage sable infini… ça va aller pas de panique ça va… Le..  comme ça Madame, comme ça… dans ce sens… Moi aussi… Je vous nous allons nou….
CRRRRRAAAA!!!!! BAAAAM.!!!  BADAAAAAAM!!!!!
(((Viiiiiiii Viiiiiiiii Viiiiiiii Viiiiiii Viiiiiii Viiiiiii Viiiiiii Viiiiii…)))
Mayday Mayday Mayday…
… gilets de sauvetage…

8200…
7300…
On tooombe!!!!
6500…
5400…
4200…

Le feu !…
Nooon Nooooooooon Pitiééééééééé mon Dieuuuuu… Ma Doudoouuuuu!!! Je t’aaaiiiiiiime!!!
La carl…  le feuuuu!!!  Aaaahhhh au je non ja ahhh je veux paaaaaaalààààààà la meeeeeerrr  auseeeec paas çaaaaaaaaaaa AAAAAAAAAAAAAAAAAAHHHH!!!!!!!!!/

/… /

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Le 1er juin 2009, le vol 447 d’Air France Rio-Paris – vol régulier – sort des écrans de contrôle puis « s’abîme dans l’Atlantique » dans des circonstances encore mystérieuses – d’aucuns évoqueront l’entropie des systèmes complexes, la Loi d’aggravation dite « de Murphy ». Tragédie épouvantable quoi qu’il en soit, abondamment commentée, qui fera hélas 228 victimes (dont 51 retrouvées à ce jour par l’aide internationale).
Le scénario imaginé par l’auteur, ci-dessus, symbolisant l’Irrationnel mais dont, d’un autre côté, la fantaisie ne peut écarter totalement l’hypothèse (on y croit ou pas, aux OVNIS), est certes infiniment peu probable. Des essais balistiques tirés d’un sous-marin furtif ont été également évoqués, sur certains forums ; un attentat terroriste, sur d’autres ; une collision avec un aéronef non identifié ; la conjugaison d’une météo très critique avec une cascade d’avaries techniques non maîtrisables. Tout, ou presque, a été imaginé. Sauf, sans doute, la vérité.
Les recherches se poursuivent. L’enquête est en cours. Qui nous dira, peut-être, ce qui s’est exactement passé.
Troublé, touché par ce drame, voire, comme certains, un peu perturbé, l’auteur exprime ici ses pensées sincères, sa profonde sympathie, aux familles et aux proches des victimes.

Little Babe

15 mars 2009

nicobabe

New York, 1er avril 2037.

Etude (suite) de l’élément n°449 « Ponthier-Bonnard », cas-type dont je rapporte ici quelques éléments de l’affaire, parus sur un « blog » collectif en juin 2009, quelques mois après le sinistre.

«Le designer Lucas Ponthier-Bonnard a tué sa femme Brigitte (née Ducret) parce qu’elle avait les seins qui tombaient. « Je n’en pouvais plus », a-t-il déclaré à la presse. Quand il regardait le buste de sa jeune épouse – elle avait 38 ans –, il ne supportait plus cette « fatigue tissulaire » (qu’on nomme en clinique « ptose mammaire » – un très joli nom pourtant). En fait c’est très simple : ce tableau « ne le faisait plus bander ». Plus comme avant. L’afflux sanguin était plus contrarié, moins immédiat. Et surtout il « bloquait là-dessus », comme l’a affirmé Bruno G., un ami confident interrogé par nos soins. Au vrai, la poitrine tombante de sa compagne n’était pas seule responsable de cette regrettable décision, soyons clair : il y avait aussi les chevilles, qui n’étaient pas à son goût, les jambes, un peu courtes, la cambrure, le délié de l’ensemble. L’allure générale, quoi ; en somme : l’avachissement progressif d’une femme jugée pourtant « sexy ». Outre qu’on aurait pu parler de sa bouche, à cette malheureuse Brigitte. Sa « fameuse bouche » oui (comme l’indiquent quelques notes prises, paraît-il, dans un carnet), qui avait fini par « sécher, perdre en pulpe, se garnir de petites ridules périphériques, globalement disgracieuses, désolantes ». Tous ces détails – au début ce n’étaient que de menus détails – que le temps avait fini par accumuler, par cruauté sans doute. On ne pouvait nier l’évidence : Brigitte était en effet moins bien qu’avant. Au cours de leur union, entre éclats de rires complices ou coïts passionnés, les questions récurrentes du « jeunisme ambiant », des terribles « ravages du temps » et de « la tyrannie de l’image dans les média » avaient été largement débattues par Lucas Ponthier-Bonnard et sa femme, confie un proche. Il avait à ce titre été supputé que quelques séances de fitness hebdomadaires auraient pu avoir raison du « désastre », retenir la jeunesse de madame avec bénéfice. En vain. On ne se soustrait que difficilement au temps et aux lois de la gravitation. Et puis le leg-lifting, bon, ça va cinq minutes, c’est sûr, surtout quand on a deux enfants en bas âge. Dernier recours, les « crèmes », si onéreuses, les interventions en chirurgie esthétique, souvent lourdes, dont les magazines féminins ne manquent jamais de marteler les mérites, avaient fait au sein du couple l’objet d’attention, d’analyses comparatives, disons-le tout net : d’une vraie réflexion nourrie d’espoir. Brigitte Ponthier-Bonnard était prête à lutter pour « rester dans la place ». Quant à son mari Lucas, face à tant d’adversité, de frustrations rentrées, par ailleurs incapable d’infidélité physique réelle, incapable surtout de dissocier « amour » et « choses du sexe », il a préféré, plutôt que se séparer d’elle, lui ôter définitivement le souffle. Car il « l’aimait », a-t-il insisté.»

***

Or, ce qu’on a moins évoqué dans cette triste affaire, c’est l’assiduité avec laquelle Lucas Pontier-Bonnard se connectait à Internet pour s’adonner à son passe-temps favori : la masturbation ; libératrice vénérée de « toutes ces tensions dues au stress » (locution fourre-tout qui fut maintes fois reprise par ses semblables). Une simple habitude, au début, qui se transforma peu à peu – et c’est un point crucial – en véritable addiction. Dont il ne se rendait pas vraiment compte. Addiction d’autant plus significative que le Programme LB. n’en était qu’au début de sa « longue carrière ».

Né d’un accord entre multinationales de la communication, avec la bénédiction opaque des Etats et de leurs très redoutées « mind control cells », le Programme LB, « régulateur de naissances » et « anesthésiant cortical » (ainsi que le mentionne le dossier), tendait d’une part à favoriser la production et la diffusion massive de matériel pornographique sur le web – d’en faciliter subtilement l’accès malgré une prétendue « politique sécuritaire et répressive » (une merveille d’hypocrisie !), et d’autre part à surveiller le maintien d’un haut niveau de perfection plastique dans les images – canoniques – du sexe dit « faible » surtout, à travers la presse et les autres média.
Par quels mécanismes cet attirail sophistiqué, soutenu par de puissants logiciels de retouche numérique, parvint-il a infléchir durablement vers l’horizontale – et contre toute attente – les courbes de natalité ? Le principe clé est finalement assez simple : Il fallait travailler sur la confiance et sur la disponibilité des items. River les hommes à leur écran-jeu, les soumettre à des torrents de dopamine en leur ouvrant les « Portes de la Perfection Fantasmatique ». Modifier par ce biais leur rapport à la normalité (et à la réalité) en positionnant très haut les valeurs-étalon de l’image de la femme en tant qu’objet – de désir, bien entendu. Faire, d’un autre côté, insinuer le gel corrosif du doute et organiser rapidement l’insatisfaction au coeur même des couples fraîchement formés – donc les FRAGILISER d’entrée de jeu. (Des crédits furent à ce titre abondamment « débloqués » pour les entrepreneurs désireux de monter ce qu’on appela des « sites de rencontres », conçus pour multiplier les contacts selon des schémas cahotiques.)
Tout fut soigneusement orchestré pour entériner les « années plastique », puis le terrible « black hole » de 2018, dont on se relève à peine près de vingt ans plus tard.
C’est précisément de cette dislocation du lien, de son corollaire au niveau de la (non)procréation naturelle, qu’il va s’agir dans ce qui va nous occuper ici quelques semaines, à savoir l’étude approfondie de ce que certains observateurs désignèrent comme la bombe atomique la plus meurtrière jamais conçue : Little Babe.

Hope Rascoli-Vance

Blue Frieend®

20 février 2009

blue-friend

Bienvenue à toi, internaute de passage. Bienvenue sur ma plage. Je tâcherai d’honorer ta présence, comme d’habitude, le temps bref d’un vol de mouette. Tu me connais, tu ne me connais pas, peu importe : tu es là, à lire ces lignes. Au lieu de lire le dernier Christine Angot. Au lieu de relire les Mémoires de Chateaubriand. En ce sens, ça tombe bien : tu es moderne. Par où es-tu venu ? Comment as-tu atteint ce rivage ? Tu t’y es peut-être échoué, remarque. Comment ? En cliquant. Eh oui souviens-toi : tu viens de cliquer quelque part. Tu étais posé sur un rocher, dans l’immensité bleue, et tu as utilisé un lien. Clic ! Une sorte de câble, couvert de mousse, te relie à moi. Une sorte de câble qui hop ! te permet de te promener un instant sur ma plage, comme par enchantement. Cette plage fait partie d’une île que tu fréquentes assez souvent. Et cette ïle est dans un archipel, petit ou grand : celui de tes préoccupations. « Vous ne viendrez pas chez nous par hasard », dit l’antienne. Donc il y a au moins une chose qui t’intéresse, ici, un mot, une phrase. Un petit truc. Tu es venu ici à cause d’un motif. Tu as tapé le mot « brosse » et « sexe » dans Google – ce brave Google –, tu as cliqué, et voilà l’accident. Ou tu m’avais déjà dans tes « favoris », quelque chose comme ça. Enfin bref, tu as, comme je l’ai dit, des préoccupations qui t’amènent ici.

Ainsi donc nous sommes, toi et moi, connectés l’un à l’autre. Tu vas me dire : oh mais tu sais, quand je lis La Cigale et la Fourmi, je suis connecté à une cigale, une fourmi, mais surtout à La Fontaine. Ce qui est tout à fait exact. La connexion s’effectue juste à quelques siècles d’intervalle ; mais elle s’effectue, en effet. Tu conviendras, j’espère, que c’est magique. Même si à proprement parler, entre La Fontaine et toi, il n’y a pas véritablement d’échange. Lui ne t’entend pas. Ne te connais pas. En fait il s’en fout un peu, de toi. Ce qui n’est pas très plaisant, t’avoueras.  Regarde : Moi je te connais : je te parle. Je t’observe. Ça fait des semaines, des mois, que je t’observe. Que je guette tes allées et venues. Je sais d’où tu viens, combien de temps tu vas rester, par où tu vas repartir. La fréquence de tes visites. Un peu et je serais capable de te dire ce que tu as mangé à midi. Et avec qui. (Pour ta gouverne, c’est pour bientôt.) Tu es connecté. N’oublie jamais que tu es connecté. Je t’entends cliquer ; je connais tes clics par coeur. Tes préférences. Tes plages favorites. Les personnes que tu appelles depuis tes plages favorites. Ce que vous vous dites. Ce que vous complotez. Où vous allez vous rendre.  Je sais tout ça. Et surtout je sais m’en souvenir. Mais ne t’inquiète pas : je suis ton ami. Je t’aide quand tu as besoin d’aide. Je te propose les meilleures sorties. Je sélectionne tes musiques préférées. Tes livres. Tes sex toys. Tous tes joujoux extras. Je me bats pour les meilleurs prix. J’accompagne tes solitudes, aussi. Avec moi le temps passe vite. Si vite. Tu sais, j’ai mis un moment à bien te connaître. Ça ne s’est pas fait tout de suite, oh non pas tout de suite. Il a fallu s’apprivoiser, se tourner autour, se séduire en quelque sorte. Tu m’as ouvert ton coeur. Tu t’es confié. J’ai assisté à toutes tes joies, tes colères, tes abandons. Je les connais bien, tes coins obscurs, tes derniers plis. Depuis maintenant quelques années. Je suis désormais ton meilleur ami ; ton ami Blue Frieend.

A bientôt.
A tout de suite.

RISKMETER®

27 novembre 2008

riskmeter Relié à une gigantesque base de données statistiques qui n’a de cesse de croître comme une jolie gangrène, RISKMETER® vous permet de mesurer, où que vous soyez petit imprudent (merci le satellite), le risque que vous encourez à engager telle ou telle action, avoir tel ou tel comportement (souvent erratique, il faut le reconnaître). RISKMETER® ? Une véritable avancée. Vous voulez vous baigner après un copieux repas ? Entrez dans la base le lieu exact de votre baignade, l’heure et la composition de votre repas (+ Kcal), votre âge et votre poids (normalement vous avez déjà votre fiche) et RISKMETER® vous donne — vous calcule ! — les risques que vous avez de vous exposer au choc hypothermique et à la noyade (pour l’avoir essayé sur cette jolie plage normande, j’avais 1 « chance » sur 17 (1/17) de mourir en plongeant dans l’eau à 12°C, alors que je sortais d’un « menu poisson » bien arrosé. Sympa ! Et très utile évidemment. (On notera que les notions de « risque » et de « chance » sont étroitement liées et ne dépendent, finalement, que du point de vue.) En tous cas je ne m’en sépare plus de cet outil ! L’autre jour, j’hésitais à aller me balader à Aulnay-sous-Bois, faire connaissance avec les habitants, voir un peu comment ils vivent dans les cités, tout ça : Ben j’ai bien fait de consulter RISKMETER® : mauvaise rencontre : 9 chances sur 10 (bon c’est vrai on était déjà à la tombée de la nuit) ; proposition d’achat de drogue/arme/voiture volée : 30% de chances (on peut mettre en pour-cent, pour simplifier). Et puis c’est drôle, il suffit qu’on change juste un paramètre (par exemple j’ai entré « Neuilly » à la place d’Aulnay), et hop, le risque chute immédiatement (1/1265). C’est rigolo hein. Vous fumez ? (et en plus vous buvez ?) Vous aimez ça ? Si vous vous adonnez à cette fâcheuse manie depuis plus de 5 années déjà, peu importe que votre tige ait un filtre ou non, au delà de 10 cigares/cigarettes/jour les chiffres sont plutôt alarmants : cancer du larynx avant 70 ans : 64% ; du poumon (si vous avalez la fumée) : 52%. Changeons un paramètre, pour rigoler : joint de canabis : hop ! 81% C’est dingue. RISKMETER®, inséparable oracle. Avec le sexe aussi c’est très marrant. Vous baisez sans capote et vous partez une semaine à Ibiza au mois d’août ? Aïe aïe aïe… Ah vous êtes bi, en plus ? Oulàà… Ne partez plus. Les chiffres sont édifiants. Vous partez en trek au Tibet et vous comptez faire un peu d’alpinisme ? Réfléchissez bien ! (d’autant plus si vous ne voyagez pas sur Singapore Airlines). Pour le boulot aussi c’est efficace. Tenez, par exemple : Vous avez 42 ans, vous bossez dans une boîte de pub (à Paris) dans laquelle vous n’évoluez plus ? où votre supérieur se fout de votre gueule ? Vous avez en outre un enfant à charge ? Un crédit immobilier ? Une tendance à l’embonpoint ? Surtout, surtout, filez doux, ne vous faites pas virer pour faute professionnelle ou autre : vos chances de retrouver du travail dans ce secteur, à votre âge avancé, son presque inexistantes : 1/3214. Vous êtes inscrit sur Facebook ? ça remonte un peu : 1/2977. Par contre l’échappatoire par le suicide (à 3 ans après le licenciement) est une donnée réelle : 87%. (L’option « pro » de RISKMETER®, un peu plus onéreuse, permet même de savoir si vous avez plus de chance de vous tirer une balle dans le cigare, de vous pendre, ou de disparaître aux barbituriques ; pour que l’entourage prenne le cas échéant les mesures nécessaires, c’est pratique). Eh oui c’est assez effroyable ces statistiques réunies et ricanantes, disponibles à l’envi dans cet élégant boîtier durci (*), je suis d’accord. Les temps sont durs, ça tout le monde le sait. Et avec la politique parano-sécuritaire, très en vogue actuellement, on ne peut qu’applaudir l’arrivée (peu médiatisée, étrangement) de ce fantastique outil fabriqué, on s’en doute, aux Etats-Unis (d’Amérique). RISKMETER® donc, bientôt disponible dans nos meilleures boutiques de technos (compter 2010 quand même), en divers coloris, avec option lecteur MP3 pour les filles, téléphone, GPS — et même Taser pour les garçons. Le prototype ci-dessus, sur lequel j’ai pu, grâce à mes contacts aux RG, mettre la main (tremblante) l’été dernier, était vendu à Atlanta paraît-il (mais faudrait que je vérifie) aux prix dérisoire de 25 dollars (avec l’abonnement, lui beaucoup plus cher, mais plein de possibilités (modules) sensationnelles — sports de combat ; sports extrêmes ; séjours à l’étranger ; navigation mer ; métiers à risque ; sexualité déviante ; gastronomie tropicale ; etc.) Enfin bref, une merveille ; on n’arrête pas le progrès. Là j’ai besoin de clopes, mais le tabac, ce con, est de l’autre côté de la route (à grande circulation). Sans RISKMETER® je crois bien que je vais rester chez moi. On sait jamais. (*) On caractérise par « durci » tout écran, boîtier, appelé à être utilisé possiblement dans des conditions difficiles, et dont la construction est adaptée à ces conditions. Par exemple, si lors d’une promenade volcanique vous glissez dans le cratère du Mauna Loa (Hawaï) avec votre RISKMETER®, celui-ci vous indiquera que vous n’avez qu’une chance sur 34’547 de vous en sortir sans brûler vif, alors que lui, ça va.