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Photolfactives (3)

28 septembre 2012

Me revoilà. Pour le dernier volet de cette brève trilogie perceptive dans le monde des parfums. Cette rentrée, plus fraîche heureusement, – alors que mon projet SIX MILLIONS avance à la vitesse d’un étalon à l’abreuvoir –, m’a vu remonter tout mon matériel olfactif de ma cave (huiles essentielles, absolues, mat. de synthèse) et organiser mon atelier. Pendant que d’autres s’étripaient sur le dernier Angot, poil au dos, et que Baptiste Doisnel, pâtissier à Conflans, mettait une touche finale à sa nouvelle recette de religieuses à la gentiane. (Vous noterez combien rien ne m’échappe même si mon nez n’est pas plongé dans les livres ces temps-ci ; ce que je ne regrette en rien, holà non.)

Mon « orgue à parfums », donc, ainsi qu’on appelle le dispositif, se compose actuellement de 207 matières, dont les deux tiers sont naturelles (agrumes, bois, fleurs, épices, etc.), le reste « de synthèse » (esters, adléhydes, acides divers, isolats et autres molécules plus ou moins complexes). Une sélection triée sur le volet, pas tout à fait définitive, qui m’a pris plus de trois mois et m’a coûté, ça va sans dire, la peau de la tête. (Ou les yeux des fesses, c’est encore plus cher.)

Que vais-je faire de tout ça ? C’est assez vertigineux tous ces flacons, doublés voire triplés à cause des dilutions différentes. Car oui, que vous le sachiez, certaines matières sentent différemment en fonction de la dilution. Pur, à 10% dans de l’alcool éthylique, ou 1%, voire 0,1% pour le diméthyle sulfide, par exemple (composé soufré à l’odeur d’asperge, d’artichaut cuit…), eh bien ça compte dans le rendu olfactif. Autant vous dire que les possibilités de combinaisons sont infinies. Vertige.

Soyons clair : je ne suis pas né dans une rose à Grasse, ni ai un cursus de parfumeur, loin de là. J’ai juste un nez assez juste, de la curiosité et de l’imagination. Et un peu de temps. Pour l’heure, mon incursion dans ce vaste domaine se borne à tester des accords, des vibrations, des échos olfactifs, ce genre. Noter les choses avec précision. A deux, trois, quatre matières ensemble. Pouvoir reproduire. Etudier les effets de certaines matières étranges ; comment modifient-elles sensiblement une fragrance. Avancer doucement dans la nuit, le nez aux aguets, crayon en main. Faire des listes, classer les correspondances, éliminer les redondances. Travail de mémoire aussi. Savoir mettre une case visuelle, sensorielle, à « acétate de styrallyle » ou à « galbanum, Iran ». Retrouver « cis-3 hexenol », « coumarine » ou « verge d’or, Canada ». Différencier le « bois de rose », du « bois de ho » et du « linalol », trois matières extrêmement proches, la dernière étant un isolat des deux premières. Exercices quotidiens, à l’aveugle. Ne pas être pressé, surtout pas. Le temps est incompressible en parfumerie. Discipline solitaire, avec horizon lointain. Dernière case BD de n’importe quel Lucky Luke.

Que vais-je faire de tout ça, donc. Je fus photographe dans une autre vie, ceux qui me suivent le savent. Retrouver des images. Sans appareil, mais avec le nez pour objectif. Voilà ce qui m’intéresse ici : créer des images olfactives. Pour le moment. Des Photolfactives (tiens, je vais ajouter un ®, ça sonne bien ; et ça impressionne toujours un « ® », les gens se disent whaaa c’est un concept protégé !). Prenons une photolfactive® de base : l’odeur du citron : elle représente un citron. L’odeur de la rose : elle représente une rose. Mais là attention : L’absolue de rose = l’odeur de la rose moins quelque chose. Il y a plus de 500 composants chimiques (!) dans l’odeur vraie de la rose, très subtile et riche, bien plus que dans l’absolue de rose (dont la fleur ne lui a pas livré tous ses composants lors de la distillation) ; c’est en outre une odeur bien plus complexe que le simple alcool phényl-éthylique, molécule dont l’odeur est la plus proche de celle de la fleur naturelle. La nature est d’une richesse extrême, difficilement copiable. On peut s’en approcher, même d’assez près, grâce à des techniques comme la chromatographie en phase gazeuse (qui permet de lister en l’analysant une bonne partie d’une odeur), mais l’égaler absolument, dans le cas d’odeurs aussi complexes qu’une fleur à parfum, c’est impossible. Alors les parfumeurs, dont un des exercices est le « soliflore », tentent de revisiter la rose (ou le jasmin, la tubéreuse, le muguet…), qui en lui ajoutant un peu d’épice, qui en la rendant plus verte – en bouton –, qui en la soulignant de vanille pour la sucrer, etc ; en fait ils tournent autour, parfois pour des résultats tout à fait convaincants et exquis.

Des images olfactives, donc. Clic, clac. Une route sous la pluie. Clic. Une maison de campagne. Clac. Une corbeille de figues sèches et de noix. Quoi encore ? Un vieil ours en peluche d’enfance – avec ses oreilles mordillées. Des milliers d’images. Parfois simples, parfois « composites ».Tout cela a des odeurs assez précises et définies, quoique personnelles. Qui correspondent aux images. Personnelles elles aussi.

Un parfumeur travaille un peu comme un sculpteur : Il travaille par « formes olfactives », en architecturant l’ensemble autour d’une structure. Quand vous lisez par exemple, au sujet d’un parfum : « Composition lyrique et sensuelle autour d’un chypre cuiré », cela veut dire qu’autour de la base mousse de chêne/patchouli/bergamote/ciste – structure de base d’un chypre, avec du cuir – le compositeur va travailler probablement des muscs et des matières un peu « inattendues » (gardénia, oeillet, lotus blanc, etc.). Gardons bien à l’esprit que dans la parfumerie commerciale, mainstream, ces matières sont pour la plupart des reproductions synthétiques de matières naturelles, plus ou moins bien réussies. Ainsi quand vous lisez « freesia » ou « violette » dans la fiche produit d’un parfum parmi les autres notes, il est entendu qu’il n’y a pas l’ombre d’une trace du moindre pétale de freesia dans le flacon. Il y a de la « méthyl-ionone alpha ». C’est con mais c’est comme ça : c’est moins cher à produire, et plus pratique. Il est bon de s’en souvenir. Lady Gaga a sorti en grande pompe un parfum récemment nommé « Fame », avec de la belladone, de la jusquiame noire, de l’extrait de rat musqué, des matières vénéneuses quoi. Pas d’inquiétude : le service de com a soigneusement habillé le parfum d’une aura « dangereuse donc attirante » pour la nénette de base. Mais il n’y a que des matières de synthèse dans ce jus. (Des noms à donner tout autant de frissons remarquez.) A 45€ le flacon de 50ml, ce qui est peu onéreux vu l’ampleur de la campagne de pub, point de miracle. Rien que du travail sur l’image, l’affectif. (Et ça marche du feu de Dieu, les gamines se l’arrachent, alors qu’olfactivement ce parfum est une écoeurante marinade sans le moindre relief ni intérêt.)

C’est pour ça que certains parfums dits « de niche », où des matières nobles et chères sont utilisées (soutenues ou pas par de la synthèse), coûtent pas loin de 200€ le flacon. Ce qui est rare est cher ; même si d’aucuns exagèrent éhontément. (A titre d’exemple, 1 gramme d’absolue de narcisse de montagne, de fleur de caféier ou de genêt, coûtent pas loin de 50€… Ça calme hein, cinquante mille balles le kilo…) Cependant la différence au niveau olfactif est sensible ; ça n’a même rien à voir. Donc à vous de voir. Ou de sentir.

Pour ma part, et loin de vouloir concurrencer qui que ce soit sur le marché hyper encombré de la parfumerie – d’autant que je n’en aurais pas les capacités, encore moins les moyens –, je vais modestement ouvrir un blog parallèle à celui-ci, un blog olfactif si j’ose dire, qui va s’intituler Photolfactives. Première image sur laquelle je vais travailler : « Le vent dans les arbres ». C’est dit. Texte, image, fragrance. Et coetera. (Aj. lundi 22/10 : Je viens d’ouvrir ce blog : c’est .) Pour ceux que ça intéresse. (J’aurai notamment l’occasion de développer cette histoire de morphologie fréquentielle dont je parlais dans le billet précédent, et que le manque de place ne me permet pas trop de faire ici ; déjà que ce billet est assez long. Enfin, patience dans l’azur, respirez, profitez de l’air.)

Quant à la Brosse Gherta, ma bonne vieille reluiseuse électrique, ça continue, bien évidemment. Avec des billets parfois plus brefs, mais plus fréquents, plus méchants, plus virulents, plus déchirants, plus stupéfiants, plus terrifiants encore. Halala ;)

Tcho.

(PS : c’est comment l’odeur du vent au fait ? On la fait avec quoi ?  – Ah ça…  secret de sorcier mon p’tit ! Bientôt sur vos écrans.)