Archive for avril 2008

Le festival de Zvovsk

29 avril 2008

Zvovsk est un lieu de pèlerinage, tout au fond de l’Oural, entre Tcheliabinsk et Klabzniev, qui abrite début novembre le très couru – et paradoxalement officieux – « Festival international de la Méchanceté ». Je me baladais il y a peu dans la région, au vrai pour tout autre chose (une recherche éperdue de filles jeunes, sexy et très peu farouches), quand mon attention libidineuse fut en quelque sorte parasitée par un élégant écriteau publicitaire à vocation festive, qui indiquait une direction. J’ai suivi, vaguement intrigué par les trois jolis diablotins peints sur le panneau. Deux heures plus tard, à mon grand étonnement, j’ai pu enfin donner cours à tout ce que je réprime depuis si longtemps – trop longtemps : ce qu’il y a de plus méchant en moi. Eh oui : de plus méchant ! de plus abjecte ! Pas d’inquiétude : j’en ai pris pour mon grade tout autant – réciprocité oblige.
En fait le Zvovsk нехороший Festival consiste en une sorte de foire du Trône, avec stands, guinguettes, animations, etc. Le plus saisissant quand on entre dans l’enceinte grillagée, c’est d’abord tous ces gens qui reniflent, qui étouffent leurs pleurs dans des mouchoirs gris (en vente sur place). Tous ces visages bouffis de vexations, d’ignominies qu’ils ont dû endurer depuis leur arrivée. Il y a des femmes, des hommes bien sûr, mais étrangement, aucun enfant. C’est pour les « grands ». Pour les vieux aussi. Et même les handicapés. On peut rester jusqu’à trois jours si l’on veut. L’entrée est gratuite mais il faut s’inscrire sur le net, un peu comme pour le Futuroscope. (J’ai dû ruser car il n’y avait pas de web-bar dans les environs.) Je ne me souviens pas avoir entendu parler de ce Festival dans les médias habituels mais bon. J’aime la découverte, au gré de mes pérégrinations de par le monde (vaste, oh si vaste ! ). Très rapidement une Italienne en fauteuil m’a demandé si j’en avais pas marre « d’avoir une gueule de vieux bouc », si ça ne m’était pas venu à l’idée de me donner un coup de peigne et de faire un « petit régime ». Quelle conne alors ! de quoi j’me mêle ! Paraplégique de mes deux ! Du coup je ne me suis pas gêné pour lui lancer qu’avant le baisser de rideau (petite cinquantaine botoxée, la dame) elle gagnerait beaucoup à se faire un peu touiller la moulasse. Bref, on se fait vite à l’ambiance délétère. Dire que les gens y vont pour se faire insulter en toute quiétude c’est quand même formidablement navrant ! Je dis « en toute quiétude » car tout est sous haute surveillance. Pas de débordements. Il y a des gardiens partout, garnis de chiens d’arrêt. Les coups (et donc les blessures physiques), ne sont pas tolérés. Interdit de donner des baffes, de griffer, de donner des coups de pieds où je pense. Rien. On contient sa hargne. Ne sont bienvenues que les vilenies orales (ou écrites). Les tracts odieux, les flyers et autres consternants papillons volètent un peu partout, c’est assez gai. Côté animations c’est plutôt stupéfiant pour le profane je dois dire. Il y a le Théâtre Acide, l’Entube à Malices, le Cercle Véritas aussi, où les inscrits se sont préparés, concertés à l’avance, pour balancer à « L’invité » (un notable généralement, ou un « pipole ») les pires vérités – car s’il est une chose qui blesse vraiment son homme c’est ça : la vérité. C’est terrible. L’ambassadeur Paquito Gonzales y Suza y Corriera est parti atrocement humilié, j’avais mal pour lui, jamais vu ça. Quels salauds. Ce qui est quand même bien foutu, c’est qu’à la sortie, tout le monde doit signer un certificat de non-représailles. Au cas que, sait-on jamais. Finalement c’est très bon enfant.
Pour ma part je suis sorti un peu après la tombée de la nuit, vexé comme une sauterelle épattée, j’en avais marre ; mais avec tout ce que je leur ai dit, aussi, le minimum c’était que j’en sorte pas indemne. Je suis très fairplay.

Aladin et la langue merveilleuse

19 avril 2008

L’intelligence artificielle fait de grandes avancées. Ça n’arrête pas. Premiers à en bénéficier (à part le Pentagone et Steven Spielberg) : les éditeurs. Voyez ce progiciel américain (évidemment) d’aide à la « décision de publication » : Aladdin Words Genius 1.0 (actuellement en version beta). Le principe est simple : On lui soumet un texte (roman, essai, etc.) et le logiciel donne son verdict quant à l’intérêt de ce texte – qu’il parvient à « lire » –, en fonction de critères pré-programmés et d’algorithmes basés sur l’analyse sémantique de grandes bases de données comparatives. Dans ces critères on a par exemple, pour les oeuvres de fiction :
– dramagraphe (diagramme du suspens)
– coefficient de pertinence socio-culturelle (pour une époque donnée)
– détection des (éventuelles) zones soporifiques
– détection de la tranche d’âge cible (avec indice de pénétration probable)
– coefficient d’intégrabilité (dans une collection, pour autant que l’éditeur nourrisse des critères pertinents)
– coefficient de traduisibilité (28 langues disponibles pour l’instant)
– indice d’adaptabilité (livre à film)
– taboumètre
– évaluation plastico-morphologique (le style, j’imagine)
et finalement,
– indice de publiabilité (en tenant compte – ou pas – de facteurs géopolitiques)

D’autres critères sont actuellement à l’étude, parait-il. Bon. Qui a dit qu’éditeur est un métier qui se perd ? Il semble en tout cas qu’il soit en mutation.

Aux dires des concepteurs, les premiers essais sont assez concluants. Sur 1000 manuscrits analysés (envoyés par la Poste), 74 exemplaires auraient un indice de publiabilité passant la moyenne de 6 (sur une échelle de 10). Par contre, sur 500 manuscrits « copinage » – et dont un tiers a été édité ! – il est saisissant de constater que seuls 11 passent la barre fatidique. Marrant, ça. Surtout quand on sait qu’un manuscrit « postal » a (en France en tous cas) grosso modo une chance sur mille de se voir publier. Bref. Les progrès de la science ne cessent de m’étonner.
Et une bonne nouvelle : Une version grand public Aladdin Words Genius light, devrait sortir fin 2011 (selon des estimations non officielles). Sympa pour les écrivains en herbe désireux d’avoir une évaluation de leur travail, avant d’envoyer leur manuscrit aux éditeurs – toujours très occupés. (Et qui vont bientôt se munir, eux, de la version pro. Attention, donc…)

Le blister de l’ipod vert

13 avril 2008

Mon formidable métier générant un revenu considérable (est-il utile de le rappeler?), j’ai tout loisir de me munir des derniers gadgets à la mode (que je suis – du verbe suivre – bien sûr assidûment). En complément de mon installation hi-fi haut de gamme, j’ai donc craqué pour cet iPod « shuffle » à 49 Euros TTC, qui désormais m’accompagne dans la plupart de mes compétitions sportives en short. Formidable compagnon printanier – et incroyable prouesse techno – que cette discrète boîte à musique de 15,6 grammes, pouvant contenir plus de 272 heures de musique concrète (en boucle). Ou de disco si l’on veut danser dans le métro.
En revanche.
En revanche, oui, là où ça bablesse, c’est au niveau de l’emballage. Les Etats-Unis si je me souviens bien, n’ont pas signé le fameux protocole de Kyoto (vous savez ce truc rapport à l’environnement, aux émissions de gaz industriels, tout ça). Désireux de conserver leur réputation de gros pollueur devant l’Eternel, ils ont jugé préférable de ne pas signer. (T’as un stylo John? (…) Désolé messieurs nous n’avons pas de stylo.) Et continuent sur leur lancée : Voyons par exemple de quoi est composé l’emballage de ce minuscule iPod : d’une boîte en plastique de dix fois son volume, entourée d’un épouvantable blister en polyvinyle triple couche (d’une dangerosité qui n’a d’égale que celle d’un Opinel n°13 dans les mains tendres d’un bambin.) Avez-vous essayé d’ouvrir un blister pareil sans vous blesser? Sans vous entamer le côté de l’index? C’est très difficile quand vous n’avez pas une lourde paire de ciseaux à disposition (car il faut bien ça). Moi j’en avais pas : je me suis copieusement esquinté. La dernière fois c’était avec une souris taïwanaise. A molette. Terrible. Le blister en coque dure est l’une des inventions les plus consternantes de l’homme moderne. Solidité, souci de « transparence produit », design. Ok. Mais quasi impossible à ouvrir sans outillage. Et extrêmement polluant. On peut difficilement faire plus écologique.
Pour cet iPod, le vert fait partie des coloris disponibles. Magnifique ce vert d’ailleurs. Comme quoi.

Moi qui avait des facilités en orthographe…

6 avril 2008

Ah oui ? Quelle horrible faute ! « moi qui avais » voyons ! Avec un S ! Moi c’est « je » et « je » donne « j’avais », voilà.
Ce qui est tout à fait exact. Grammaticalement. L’ami Grevisse est intransigeant là-dessus. Mais mais mais. Et si nous allions plutôt rendre visite à Google le Brave, le (mauvais?) génie du Savoir, en tout cas le Maître absolu de la base de données
A l’invite tapons, entre guillemets, « moi qui avais ». On obtient 65.200 occurrences. Essayons maintenant « moi qui avait » : 148.000 occurrences. Paf dans l’os ! Rebelote : « moi qui étais » : 64.300 occurrences ; contre « moi qui était » : 87.000. Ce qui veut dire (dans le premier cas) que plus de deux tiers des gens – des gens qui « écrivent » en plus – seraient nuls en grammaire. Ça, on le savait déjà avec l’orthographe, tout se perd, on ne sait plus écrire, on ne lit plus assez, ou pas les « bonnes choses », les SMS bouffent tout, les jeux vidéo aussi, etc. Ce serait enfoncer une porte ouverte que de dire que le « bon usage » de la langue française va mal. Bien.

On peut malgré tout se demander pourquoi les 2/3 des écrivants se laissent avoir par ce « Moi qui… » Le cerveau semble connecter davantage sur le « qui » que sur le « moi » (ce « je » masqué). Le « qui avait » est tellement représenté – je dirais graphiquement – dans la lecture, qu’il l’emporte naturellement sur le « qui avais », qui du coup semble presque laid, et partant, faux.
Quand on met la proposition au présent, la faute est tout de suite moins fréquente. « Moi qui suis » et non « moi qui est ». Là, le Moi l’emporte (je dirais presque forcément...)

Il y a évidemment une quantité astronomique d’exemples similaires. Où Google nous montre en temps réel ce qu’il en est de cet avachissement du « bon usage ». (A tel point que si vous écrivez juste, cela risque désormais d’être perçu comme faux par la majorité écrasante.) Alors qui va l’emporter? Google ou Grevisse ? L’usage commun, la netocratie du Verbe, ou la haute autorité de la Grammaire ? Epineuse question sans doute. Si vous avez des réponses, des vues là-dessus, c’est à vous…