Archive for janvier 2009

Le cri des livres

16 janvier 2009

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Longeant ma vaste bibliothèque, je m’apprêtais à quitter mon chez-moi pour rejoindre l’un de mes rivages de prédilection, la FNAC librairie-de-mon-quartier, afin d’étancher ma soif de nouveautés, quand soudain, soudain j’entends comme un craquement qui venait du mur de livres. Pas exactement un craquement : une manière de plainte, stridente mais brève. C’était très curieux. Je reviens sur mes pas et m’approche de la zone, à hauteur d’oreille, d’où ça semblait être venu. Y aurait-il des souris chez moi ? quelque intrus ? Je me saisis d’un ouvrage, puis d’un autre pour dégager un peu : rien. J’écoute, suspendu : plus rien ; une hallucination auditive sans doute — qui se produit parfois quand je n’ai pas assez écouté André Rieu. Bon.
Je me retrouve alors avec deux bouquins dans les mains : L’Economie en 200 schémas, de Jean-Marie Albertini, et Les ressorts cachés du désir, de Marie-Claude Sicard.  Autant ce dernier est encore assez récent dans ma tête, et puis bon, les ressorts cachés du désir, on me la fait plus ; en revanche, l’économie en 200 schémas alors là… Y a bien deux ou trois graphiques de base, quelques diagrammes malins dont je me souviens à peu près, mais le reste, nada…  Intéressant l’économie, pourtant. Fondamental. Et puis rien de plus pédagogique qu’un bon schéma quand il est bien fait. Faudrait que je me replonge ; surtout qu’avec l’année qui vient faut être un brin au courant, quand même… Je me mets à parcourir les rayonnages… Le Sexe de l’Homme, du Dr. Ronald Virag. Plus de sept cents pages… Le truc exhaustif… Sacré Ronald…  J’en connais un bout sur le sujet, si j’ose dire, mais doit certainement y avoir quelques chapitres que j’ai dû mal lire… sans quoi j’en serais pas là… Tiens, et ça… La Vie cachée d’internet, de Michel Moati  !… Chapitre 5, au hasard… : « Cyber-préhistoire : les relations truquées sur Minitel »… Wow… La quatrième de couv’ parle de « vie secrète », underground ; et qui se développe dans les « replis du Net ». Des replis chauds et humides, sans aucun doute…  Faudrait que j’m’y attaque, j’ai jamais lu ce machin-là putain… Ça : Vérités et mensonges en littérature, de Stephen Vizinczey ! Qui pourrait me jurer qu’il ne trouverait aucun intérêt à relire cet excellent pavé ! de ce si brillant auteur ! Par les temps qui courent !… Et ça, là…  Au bonheur des mots, de Claude Gagnière… Une somme…  Fabuleux, les mots…  tous ces aphorismes… ces mots d’auteurs si savoureux… Desproges… Bloy… Léautaud…  Enid Blyton… Ah les immenses… Ah là là… Plein de trucs là-haut, aussi… : Querelle de l’art contemporain, Jimenez… Ville panique, Virilio… Réalité de la réalité, Watzlawick… faudrait relire… Le chaos et l’harmonie, de Xuan Thuan… neuf cents pages… Pfuuuu… Genre Alvin Toffler… Tout le futur est là… faudrait s’y mettre un jour, là, carrément… Tiens, c’est comme Ulysse…  ce saligaud de Joyce… Enorme… saligaud d’génie, va… Tu parles d’un Dedalus… Un sacré oui… où je me suis toujours perdu… Sûr que j’ai loupé les meilleurs bouts, faudrait voir… Avançons… Du côté des romans, voyons voir… Nabokov… Lolita ok mais j’ai jamais eu l’ardeur de lire Ada… Le bouquin est neuf !… Foutremiche !…   Et Céline…  La trilogie allemande qu’on m’a offerte… pas loin de deux mille pages en Folio… Nord et tout le bataclan… ça prendrait des heures et des heures… Mais des heures de plaisir sans aucun doute… Ah sans aucun doute !… de grand tumulte en tout cas… Tain d’bordel… Tous ces romans que j’ai un peu oubliés, ou même pas lus… Des piles et des piles de steaks, regarde-moi ça… Parfois offerts, parfois achetés… Tranches colorées… Tous les San-A… J’aimais bien ça, San-A… Belle époque un peu fanée… Du plomb dans les tripes…, Prenez-en de la graine…, La Fin des haricots… un des meilleurs çui-là… T’inquiète Béru, je reviendrai… Je reviendrai… Caisse tu ferais à ma place avec tous ces bouquins, toi, hein ?…  que j’ai plus trop en mémoire… que des vagues souvenirs…  Plein d’émotions qui sont restées, bien sûr, mais bon… Des images nettes, on est d’accord… Regarde… Le Désert des Tartares… ce pauvre Drogo qu’attend comme un con que se pointe l’ennemi… Buzatti… J’ai là deux livres que j’ai pas lus… de lui… à peine ouverts… C’est vrai qu’ils sont pas tout neufs ces vieux pavés… mais les histoires sont intactes !… Rien à changé, pas une virgule, pas un souffle, rien de rien !… Et ils attendent que je les rouvre… que j’me lance un bon coup..  que j’y aille franchement, quoi… Tous ces personnages silencieux qui attendent leur tour… Que je les hume, que je les parcoure, que je les juge ou que je les aime…
Et moi je suis là comme un imbécile heureux, à vouloir aller m’acheter les nouvelles nouveautés… Les tout derniers auteurs à la mode… Les essayistes incontournables… avec leur prétentieuses cent-vingt-trois pages… Alors que j’ai plein d’indémodables, ici… Bien au chaud… Des immensités que j’ai à peine reniflées… Qui sont prêts à m’enthousiasmer pendant des années… Un tas de philosophes importants… de dramaturges indispensables… de poètes à mille feux…  Hein, qu’est-ce que tu ferais, toi, Béru ?… C’est pas toi qu’a couiné tout à l’heure ?… Des souris et des hommes ?…  tu crois ?… Bon… Comment je vais la gérer cette rentrée dis-moi ?…  cette rentrée littéraire de janvier ?… plus de cinq cents bouquins nom de Dieu… de nouveaux maîtres du thriller… de jeunes faons prometteurs… qui écrivent tous avec une « rare maîtrise »… — pas comme avant… — Comment je vais le gérer ce torrent de cellulose, moi ?… Moi le grand lecteur mes couilles… Ces tonnes de papier… de magazines…. J’en ai déjà des wagons…

Allez, hop ! à la librairie ! Y a sûrement un bon bouquin qui va m’expliquer !…

Innover absolument

8 janvier 2009

immeuble

Bon allez. Souhaiter les voeux. Cette fois-ci on y va, se dit Jean-Pierre Lajoie, en se mettant à son bureau. Souhaiter les voeux ; souhaiter les voeux et la bonne santé. Comme de coutume. A envoyer par e-mail — puisque par poste, ils disent que c’est ringard. Dix minutes, vingt minutes : Rien. Rien ne sort de l’os. Rien de bien ne sort sur l’écran 22 pouces, qui semble ricaner. C’est la grande difficulté. Jean-Pierre Lajoie essaie pourtant. Il a choisi une petite image à mettre, pour illustrer. Mais qui ne va pas : alors une autre. Quelque chose d’optimiste, il faudrait, avec des couleurs, de la vie. Jean-Pierre Lajoie tape une phrase sous le gai bonhomme de neige, péniblement, l’efface aussitôt. Recommence. Une phrase un peu drôle, qu’il souhaite enlevée. Mais ça ne vient pas. Souhaiter les bons voeux, la toute bonne santé : Pourtant simple, mais tout est bloqué. Cette image ne va pas ; ne fonctionne pas avec ce que Jean-Pierre Lajoie a envie de dire cette année. Imaginer quelque chose de neuf pour l’an neuf. « Bonne année à tous, amis du web ! » Amis ? Ou : « Merde à 2009 et à la saloperie de crise ! » Voilà qui est plus original. Peut-être même inédit. Jean-Pierre Lajoie hésite, transpire au col. Il ne sait pas. N’ose pas brusquer. N’a jamais osé. Et puis les images ? Toujours les mêmes. Tenez : Ciel d’hiver avec soleil, église. La neige brille, pleine de promesses ; d’espoirs neufs. Déjà vu ! Et puis les espoirs on sait ce que ça donne ; avec ou sans église. Ou alors ça : Quand on était avec Françoise, Tom et Lia, dans le jardin de Michelle, avec les églantiers derrière… On riait tous les quatre… Que du positif cette photo… de la joie… de la joie et de la lumière…, se dit presque joyeusement Jean-Pierre Lajoie. Qui se dit aussi que Françoise a salement grossi, quand même, enfin exactement qu’elle n’a pas maigri, comme elle pensait, depuis son accouchement. Pas un gramme. Ça risque pas avec tout ce qu’elle bouffe, tout ce qu’elle descend, continue d’observer Jean-Pierre Lajoie, le souffle bref, les yeux rivés sur la photographie.
Que choisir pour ces voeux, alors ? Tom sur sa luge « turbo » l’an dernier à Grenoble ? Françoise en maillot face à l’océan ? Le visage bouffi et rougeaud de Lia qui hurle dans le coton ? Non. Faut sortir de tout ça, songe Jean-Pierre Lajoie, résolu ; infiniment résolu. Innover absolument.

« BONNE ANNEE DE LA CARPE », tape alors Jean-Pierre Lajoie, l’air serein, avant de se lever et d’ouvrir la fenêtre pour sauter.